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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

alors on ne sait plus si Dieu est le Démon ou si le Démon est Dieu. » C’est encore là un aveu important.

Toutes les poursuites soit spirituelles soit matérielles dirigées contre les hérétiques n’ont leur origine que dans la foi religieuse[1]. Saint Augustin déjà, parlant des livres manichéens qui se trouvaient en Afrique, dit : « Tam multi, tam grandes, tam pretiosi codices ; incendite omnes illas membranas (Contra Faust., XIII, 14) ; » et Pierre de Sicile (p. 759) : « On tue les montanistes et les manichéens sur le commandement des empereurs divins et orthodoxes ; on brûle leurs livres, on tue celui qui cache les livres, etc. (Gibbon, XI, 12). » Veuillez remarquer ici les empereurs divins et orthodoxes ; ce sont eux que François 1er, roi de France, imite (Sismondi, Hist. de Fr., XVI, 450), qui parcourt à la tête d’une procession, avec la reine, avec toute la cour et avec tous les ambassadeurs étrangers six quartiers de Paris, et dans chacun il s’arrête devant une des six exécutions d’hérétiques : « On attendait pour faire jouer cette effroyable balançoire (estrapade), que le roi fût arrivé auprès avec la procession afin qu’il vit le moment où le malheureux tomberait dans les flammes (J. Sleidan, IX, 144). » — « En effet, à chaque station le roi remettait sa torche au cardinal de Lorraine, joignait les mains, et humblement prosterné, implorait la miséricorde divine sur son peuple, jusqu’à ce que la victime eût péri dans d’atroces douleurs (Garnier, XII, 552. Hist. de Paris, XIX, 999. Fr. Belcar, XX, 644). » Le père Daniel dit que « François voulut, pour attirer la bénédiction du ciel sur ses armes, donner cet exemple signalé de piété et de zèle contre la nouvelle doctrine (Hist. de France, V, 654). » Ainsi, c’est constaté : le roi divin et orthodoxe du christianisme brûle des victimes humaines sur un bûcher en l’honneur du Moloch chrétien ou pour se le rendre ami, absolument comme le sénat de Carthage jette des enfants entre les bras de bronze du Moloch tyrien : le roi divin et orthodoxe prend des hérétiques, le sénat de Carthage prend des innocents, ce qui revient au même. « La procession se termina à l’église de Sainte-Geneviève, le sacrement y fut déposé sur l’autel, et la messe chantée par l’évêque de Paris ; le roi et les princes dînèrent ensuite chez ce prélat ; après le dîner, toute la cour, le

  1. Cette intercalation est du traducteur