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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

complète sur-le-champ par le verset 18 : « Ceux qui croient en lui ne seront pas jugés mais ceux qui ne croient pas en lui sont déjà jugés ». — « Et je vous dis, pour quiconque scandalise un de ces petits qui ont foi en moi, il vaudrait mieux qu’un grand moellon fut attaché à son cou et qu’il fût jeté a la mer (Saint Marc, IX, 42 ; saint Matth, XVIII, 6). » — « Celui qui croit et se fait baptiser, celui-là deviendra bienheureux et qui ne croit pas sera condamné (Saint Marc, XVI, 16). » Et bien, toute la différence entre la foi telle qu’elle existe déjà dans les paroles de la Bible et la foi de l’époque suivante, est la différence qu’il y a entre un germe et une plante ; nous ne voyons pas encore clairement celle-ci dans son germe, et pourtant elle y préexiste. Les sophistes ne veulent jamais reconnaître ce qui est clair, ils relèvent avec empressement la différence de l’existence développée et de l’existence non encore développée : ils se hâtent de détourner leurs yeux de l’identité.

La foi ainsi déterminée devient nécessairement de la haine, et la haine quand elle éclate produit la persécution ; la seule digue qui peut victorieusement s’opposer à la foi religieuse est l’amour fraternel, l’humanisme, puissance tout à fait contraire à la foi. L’humanisme, c’est le sentiment du Droit de l’Homme. La foi doit mépriser les lois de la morale naturelle, elle ne prêche que les devoirs envers son Dieu, et parmi eux il y en a un qui est suprême, c’est la foi elle-même ; voilà le cercle dans lequel elle tourne, et ce cercle est inévitable, fatal. Dieu est au-dessus de l’homme : les devoirs envers Dieu sont donc supérieurs aux devoirs envers l’homme, et les devoirs envers ce Dieu entrent sans retard en conflit avec ceux envers l’homme. Ne nous en étonnons point ; Dieu est imaginé non-seulement comme un être universel, comme l’Être des êtres, le Pire des hommes, l’Amour : ce ne serait là que la foi fraternelle et humaine. Dieu est aussi censé être la Personnalité des personnalités. Or, une personnalité est une égoïté, un être personnel est aussi un être égoïste, c’est-à-dire un être qui rapporte toutes choses à lui, qui se sent le centre autour duquel les choses doivent se grouper, un foyer qui réagit sur la périphérie. Ce Dieu doit donc se séparer de l’homme, le centre ne saurait se confondre avec périphérie : les devoirs envers Dieu sont donc séparés de ceux envers l’homme, la foi se sépare donc de la morale fraternelle, Luther, je le sais, dit que la foi ne vaut rien sans les bonnes œuvres ; et il