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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

précisément pour cela devenu le modèle de toutes les persécutions religieuses modernes[1]. Elles ont cela de particulier qu’elles sont précédées des mensonges les plus doucereux, et suivies des louanges les plus impudentes. La révocation de l’édit était encore pour une raison plus vile que toutes les persécutions antérieures: c’est qu’on nia après, en face de l’Europe, d’avoir employé des moyens violents. La révocation de l’édit, acte infâme, a eu l’honneur d’être en même temps un acte saint : le pape d’alors ne l’a prouvé que trop.

Les orthodoxes les plus zélés, ceux qui représentent l’essence de la foi, sont tous égoïstes et bilieux : ils ne sauraient subsister sans avoir devant eux des hérétiques. Cette rage extérieure contre l’hérésie n’est rien autre chose que la rage qu’ils éprouvent de leur propre état intérieur ou psychique ; les intervalles lucides pour eux sont les moments où la flamme de la colère luit dans leurs sinistres regards. Tout est supranaturaliste pour l’orthodoxe, il n’y a que la colère religieuse par laquelle il se met de nouveau en contact immédiat avec la nature humaine : peut-être aussi veut-il par là palpablement démontrer le dogme du péché originel, puisque sa vie doit être une dogmatique vivante ; on sait du reste quelle grande valeur ce dogme possède aux yeux du vrai fidèle.

Dieu réprouve le mécréant, et le fidèle fait et doit faire comme Dieu. Les mahométans détruisent les infidèles par le fer et le feu : les chrétiens sont plus raffinés, ils renchérissent sur le vieux dicton d’Hippocrate, ils y emploient le feu de l’enfer. Eh, voyez, voyez les flammes d’outre-tombe, comme elles viennent s’élancer vers la vie actuelle ; elles en franchissent la limite pour éclairer les ténèbres

  1. Elle est à la fois plus atroce et plus perfide que toutes les persécutions romaines contre le christianisme primitif. Ce qui n’empêcha pas le rhéteur Bossuet de s’écrier (Oraison du chancell. le Tellier) : « Poussons jusqu’au ciel nos acclamations, et disons à ce nouveau Constantin, à ce nouveau Théodose, à ce nouveau Marcien, etc., ce que les pères dirent autrefois dans le concile de Chalcédoine : Vous avez affermi la foi, vous avez exterminé les hérétiques : Rex coelestis, Augustum custodi et de le le Tellier : Dieu lui réservait l’accomplissement du grand ouvrage de la religion, et il dit en scellant la révocation du fameux édit, qu’après ce triomphe de la foi et un si beau monument de la piété du roi, il ne se souciait plus de finir ses jours. » L’autel et le trône en furent si bien affermis qu’ils volèrent en éclats déjà au bout d’un siècle. (Note du traducteur.)