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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

La vanité chrétienne empêche de juger impartialement ; on aime à découvrir le moindre défaut chez les nations non chrétiennes, mais jamais on ne voudra voir ceux du chrétien. Beaucoup dépend du tempérament, du naturel d’un peuple, la Foi se formera chez l’un différemment de l’autre : mais la nature essentielle de la foi reste partout et toujours la même. La Foi ne s’occupe que de condamner les infidèles : tout ce qu’il y a de beau, de salutaire, de généreux, elle l’amasse sur son Dieu, elle l’en revêt comme l’amante son bien-aimé  ; ce Dieu, je le répète, est lui-même la Foi personnifiée ; elle rejette sur l’infidélité tout ce qu’il y a de laid, de désolant et de mesquin. Et remarquez, c’est surtout le doute dans les matières dogmatiques, le doute, ce véritable principium sapientiae, contre qui la Foi constituée doit lever son bras impitoyable et sanglant. Elle a en effet raison de déclarer les doutes pour des tentations infernales, et nous aurions tort d’attendre d’elle ce qu’elle ne saurait donner sans se suicider.

L’Église orthodoxe se souciait même beaucoup des tourments spirituels qui naissent du doute, elle se tenait toujours prête à leur imposer silence par la méthode contrastimulante, en infligeant des tortures corporelles et en rendant muets les hérétiques. Elle a de tout temps agi de cette sorte, mais surtout depuis le seizième siècle. La Saint-Barthélemi, massacre fanatique, mais franc et enthousiaste, n’est rien en comparaison avec la révocation de l’édit de Nantes, massacre fanatique, mais hypocrite, lâche, et qui est

    toutes, le parsisme, ce grandiose combat des soldats d’Ormuzd contre ceux d’Ahriman, n’a rien pu fonder de vraiment humanitaire sous le point de vue politique et social. Pourquoi pas ? Parce que l’essence de la religion en général porte en elle le principe de la transcendance ; ce principe est nécessairement stérile et encore plus, il mine sournoisement les rapports humains ou sociaux. — Chateaubriand dit « que le monde moderne doit tout au christianisme, depuis l’agriculture jusqu’aux sciences abstraites, depuis les hospices pour les malheureux jusqu’aux temples bâtis par les Michel-Ange et décorés par les Raphaël ; » mais l’agriculture se propage aussi bien sans la doctrine chrétienne, les sciences abstraites les beaux-arts ont grandi en rompant en visière du christianismes, après avoir été anathématisés et plus tard après l’avoir combattu lourdement ; la charité ou bienfaisance chrétienne est précisément ce qu’il y a de moins fraternel et de plus antihumain, puisque pour s’exercer et pour jouir d’émotions douces et tendres, elle a absolument besoin de la perpétuité de la misère physique et psychique. (Le traducteur)