Page:Feuerbach - Qu'est-ce que la religion ?,1850.pdf/431

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
419
L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

de la dogmatique ; mais l’exégèse est plus ou moins arbitraire, capricieuse. La foi a déjà commencé à s’éteindre, quand on fait la découverte que les dogmes imposent un joug à l’intelligence ; la religiosité libérale, n’oublions pas cela, est de l’indifférence religieuse ou plutôt de l’irréligiosité ; elle dit qu’elle ne veut croire que ce qui est essentiel, elle ouvre la Bible, elle va la commenter, elle jure sur la Bible ; mais au fond elle ne croit rien. Je dis rien, rien qui mériterait d’être appelé foi ; elle remplace entre autres le Fils de Dieu, cette figure si nettement dessinée, ce caractère si fortement accentué pour ainsi dire, par la notion vague et flottante d’un homme sans péché, qui plus que tout autre peut se faire appeler un fils de Dieu ; ce qui signifie que le Christ n’est ni Dieu, ni homme, ni théanthropos. Voilà où les modernes ont enfin débarqué, après avoir fait un long et ennuyeux trajet : ils sont arrivés à l’indifférentisme pur et simple en matière de religion, au point de ne pas même regarder comme sacré tout ce qui est écrit dans la Bible ; ainsi, la séparation que la foi religieuse fait et doit faire entre les fidèles et les infidèles, est rejetée comme anti-religieuse ou anti-chrétienne, bien qu’elle se trouve énoncée dans le Nouveau-Testament.

L’Église, en condamnant les hétérodoxes et les incrédules, avait de son côté le droit de la logique : la foi orthodoxe, quand elle est vivante, quand elle porte encore du feu dans ses entrailles, et des flammes dans son cœur, ne distingue pas entre un hétérodoxe et un athée. Elle doit les condamner, c’est la sa nature essentielle, et aucune chose ne peut agir contre sa nature. Au premier coup-d’œil, je le sais, la foi paraît être une séparation innocente faite entre les fidèles et les infidèles : mais attendez un peu, et vous verrez cette séparation devenir éminemment critique ; Dieu est pour le fidèle, il est contre l’infidèle ; de la vient le devoir de pousser celui-ci vers son bonheur, c’est-à-dire de le convertir.

Or, celui qui a contre lui Dieu, n’a pas de valeur ni de dignité, il est nul au fond, et on fait bien de l’annuler aussi extérieurement : celui qui a contre lui Dieu, est contre Dieu, et cela suffit. Le Nouveau Testament a déjà combiné l’idée de l’incrédulité avec celle de la non-obéissance, et Luther dit (XIII, 647) : « La méchanceté capitale, c’est la mécréance. » Tout mécréant est donc un ennemi personnel du Christ ; il ne veut pas croire, dit la foi, donc il est endurci, il commet un péché volontaire. Elle est conséquente,