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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

plus grande que celle entre ciel et terre, si immense qu’il n’y a plus de comparaison possible. Dieu est juste, saint, vrai, Dieu c’est tout ce qui est bon ; l’homme est mortel, injuste, méchant, menteur, rempli de vices et de péchés. Chez Dieu sont tous les biens, chez l’homme ne sont que la mort, le diable et le feu de l’enfer. Dieu existe d’éternité en éternité, l’homme est enfoui dans des péchés, l’homme se trouve à tout moment au milieu de la mort, Dieu abonde en grâce inépuisable, l’homme est rempli de disgrâce et gémit sous la colère divine. Voilà ce que c’est que l’homme en face de Dieu. » (XVI, 536, édition de Leipzig, en 23 vol. in-folio.) Ainsi, à chaque défaut dans l’homme répond une perfection en Dieu. Dieu possède tout, Dieu est précisément tout ce que l’homme n’est point et ne possède point ; ce qui est attribué à Dieu, vous en dépouillez l’homme, et ce que vous donnez à l’homme vous l’ôtez à Dieu. Vous appelez l’homme un être autonome, autodidacte, un être qui sait s’instruire par lui seul et se donner des lois : alors, Dieu n’est point le législateur, n’est point l’instituteur du genre humain, n’est point son révélateur. Si, au contraire, vous attribuez à Dieu ces qualités-là, elles doivent manquer à l’homme. Ainsi, Dieu d’un côté, l’homme de l’autre sont en raison inverse ; il n’y a pas de médiation ni de milieu.

Les conséquences de cette thèse sont effrayantes. Voulez-vous affirmer l’homme ? niez, reniez son Dieu. Voulez-vous affirmer Dieu ? reniez, niez l’homme, Renoncez à l’un des deux, vous aurez l’autre ; sinon, vous n’aurez ni l’un ni l’autre. Adorer Dieu, signifie mépriser l’homme ; la grandeur divine a pour base la petitesse humaine, la sagesse divine suppose la perversité humaine, la puissance divine exige la faiblesse humaine.

« La nature de Dieu, s’écrie Luther (V, 176) consiste précisément en ce qu’il manifeste sa majesté, sa force divine par notre nullité ; lui-même l’a dit à saint Paul (2 Corinth. 12) : Ma puissance est grande dans ceux qui sont faibles. » Plus loin, Luther s’explique davantage (III, 284) : « Ma force divine ne peut se faire valoir que dans vos faiblesses, et si tu n’es pas faible, à quoi te servirait ma force ? Je veux bien être ton Christ, et tu seras mon apôtre : mais tu auras à mettre d’accord ta faiblesse avec ma force, ton ignorance avec ma sagesse, ma vie avec ta mort. – A Dieu seul appartiennent la justice, la vérité, la sagesse, la sainteté, le bonheur