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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

clusive elle n’admet point de progrès, parce qu’elle ne veut qu’une vérité spécifique, qui nécessairement est négative envers tout ce qui est en dehors d’elle. La foi n’a qu’un seul Dieu, elle ne reconnaît qu’une seule vérité, elle donne à un seul individu le monopole d’être Fils de Dieu ; le reste n’est que de l’infamie, du mensonge, de la poussière. Jéhova, Allah, le Dieu trinitaire, est le vrai Dieu, toute autre divinité n’est qu’une détestable idole ; il faut la briser sans retard.

La foi a quelque chose de particulier, un monopole à elle, elle se base sur une révélation toute particulière. Hautaine et exaltée, toujours fébrilement agitée dans ses mouvements supranaturalistes et contre-nature, la foi religieuse se vante d’avoir acquis son trésor par une voie spéciale, qui n’a rien de commun avec la voie ordinaire, ouverte à tout homme doué de cœur et de bon sens. Jamais ce qui est pour tout le monde, ne saurait être un objet particulier, spécifique, et caractéristique de la foi. Ainsi, on savait longtemps avant le christianisme que Dieu était le créateur, on l’avait reconnu par la nature ; mais la foi religieuse hausse dédaigneusement les épaules, car elle seule en sait davantage. La foi connaît la personne de ce Dieu d’après la révélation ; elle sait au juste répondre à la question : qui est ce Dieu ? Tandis que les pauvres païens savaient tout au plus répondre à la question : quoi est Dieu ? De là à l’idolâtrie païenne ; le Dieu païen n’est point bien connu à ses adorateurs. Les chrétiens connaissent le leur de face à face et ils se trouveraient offensés si on voulait les identifier devant Dieu avec les païens. Cette fameuse identification des païens et des chrétiens n’existe que dans le cerveau libéral de quelques philanthropes déistes, mais elle est au fond opposée au christianisme, car elle est, en effet, le résultat d’une civilisation douce et éclairée. Un chrétien se distingue d’un non-chrétien par tout ce qui constitue la foi chrétienne ; « Voulez-vous, dit Luther, être chrétien, alors croyez et agissez autrement que les autres mortels (XVI, 569). » Cela signifie que ceux qui ne connaissent pas le Dieu chrétien, ne sont pas des hommes chrétien et homme sont deux synonymes, les païens n’ont que la forme humaine, et nullement une valeur intérieure [1].

  1. Dans le Génie du christianisme on trouve ce passage caractéristique : « Si les philosophes anciens, dit Abbadie, adoraient les vertus, ce n’était après tout