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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

ducationem adseramus atque propugnemus, naturalem tamen non admittimus… Omnis equidem manducatio naturalis etiam oralis est, sed non vicissim oralis manducatio statim est naturalis… Unicus itaque licet sit actus, unicumque organum, quo pánem et corpus Christi, itemque vinum et sanguinem Christi accipimus, modus (que c’est commode pour les sophistes religieux d’en appeler partout au modus !) nihilominus maximopere differt, cum panem et vinum modo naturali et sensibili, corpus et sanguinem Christi simul equidem cum pane et vino, at modo supernaturali et insensibili, qui adeo etiam a nemine mortalium (et assurément par nul immortel !) explicari potest, revera interim et ore corporis accipiamus. » Très bien ; ainsi donc le chrétien qui met la chair de son Dieu entre ses lèvres, qui suce le sang de son Dieu pour s’assurer de l’existence charnelle de son Dieu, ce même chrétien ouvre sa bouche théophage un instant après, pour nier, oui pour nier et renier, la présence charnelle, corporelle, réelle de ce même Dieu dans l’Eucharistie. Le chrétien mange son Dieu[1] ; il dévore son Dieu, il assimile à sa chair humaine la chair vivante de son Dieu, il satisfait donc par là à sa propre chair : mais tout à coup il se souvient que la chair chrétienne ne mérite pas qu’on fasse aveu de sa satisfaction, et il nie effrontément la jouissance charnelle, il la nie ici, dans l’Eucharistie même comme ailleurs.

L’hostie, ce pain sec, est de la chair saignante. Soit, mais remarquez qu’elle ne l’est que d’après la foi et pour la foi : « Voilà, par exemple, les fanatiques (les insurgés politiques et religieux dans la Guerre des Paysans), ils croient que l’hostie n’est réellement et intérieurement rien autre chose que du pain sec ; ces hommes mangent en effet du pain sec dans l’hostie sacrée, » dit Luther (XIX, 432) ; ce qui se traduit en notre langage dialectique comme suit : « L’hostie est précisément telle que tu te l’imagines : tu la crois de la chair, elle l’est ; tu la crois du pain, elle l’est encore. » Et cela doit être ; ce que rêve la foi religieuse, l’âme affective dans son extase, cela a pour elle une signification réelle, cela existe au dehors d’elle dans le monde physique ; l’illusion est ici l’élément vital pour l’homme.

  1. Comme Bossuet répète toujours avec une remarquable joie.  (Le traducteur.)