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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

Aussitôt que l’homme croit à la réalité physique et extérieure d’une illusion qui ne fait que voltiger dans l’intérieur de son cerveau, alors il finira, quand ses nerfs s’exaltent, quand son sang s’échauffe, par percevoir hors de lui, en face de lui, l’illusion devenue vision ; la fantasmagorie interne est désormais devenue externe ; la chimère de son imagination et de son raisonnement illogique devient tout à coup un fantôme ; plus l’homme croit intérieurement, plus ces croyances lui apparaissent extérieurement en visions, et plus ces visions vont le fortifier dans ses croyances[1]. Ainsi, des catholiques fervens ont maintes fois vu du sang couler au lieu du vin sacré. Tant que le dogme de la transsubstantiation resta inculqué aux Européens, toutes leurs autres forces intellectuelles étaient dominées par l’imagination, le caprice et l’arbitraire certes, les institutions politiques et sociales s’en sentirent autant que les sciences et les beaux-arts. Toute contradiction, tout contre-sens trouva sa justification dans la religion. Ne riez pas des distinctions subtiles et absurdes du scolasticisme : il voulait mettre d’accord l’âme affective avec l’intelligence, l’alogie avec la logique ; il est une conséquence rigoureuse de la foi dogmatique.

On a beaucoup discuté pendant des siècles, avec la plume et avec le glaive, sur la doctrine de l’Eucharistie selon l’Église catholique et selon l’Église protestante. Cette discussion, si ennuyeuse et si atroce en même temps, se réduit à un résultat bien futile. Toute la différence des deux doctrines, la voici le protestantisme fait la chair et le sang de Dieu se combiner miraculeusement avec le pain et le vin entre les lèvres du chrétien et à l’instant même, tandis que le prêtre catholique, au nom du Tout-Puissant, opère la sainte métamorphose avant de conduire le pain et le vin à la bouche ; cette méta-

  1. Une certaine espèce de critique crie, dans cette occasion, à la duperie, c’est une critique souvent bien intentionnée, mais toujours ignorante et frivole. Il en est de la duperie ou du charlatanisme, comme de l’hypocrisie ecclésiastiques ; gardons-nous dans une critique dialectique, qui va droit au cœur de l’ennemi, de faire ces reproches du point de vue subjectif. Certes, il y a des charlatans ou des hypocrites parmi les prêtres de Moloch et de Jupiter Capitolin, de Sérapis et du Christ, de Jéhova et d’Allah : mais cela ne nous regarde point. Nous avons à critiquer leur religion historique qui est un élément du développement humain, et non leurs personnalités périssables et mesquines, qui ne peuvent nous occuper qu’en passant. (Le traducteur.)