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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

qu’elle ne revivra plus, et qu’elle se changera en humanisme. Je me hâte, par conséquent, d’épier et de dénoncer à chaque pas les mille tergiversations, les mille alogies essentielles et formelles qu’elle se permet. Dans ce labyrinthe, il faut faire attention aux contradictions dans lesquelles elle tombe avec sa propre essence ; et cela lui arrive précisément dans le cas présent. La religion est un matérialisme mystique, qui a toujours la prétention de faire voir l’élément de la subjectivité : ainsi, entre autres, quand elle parle des saints Sacremens. Dans le dogme du Baptême la subjectivité ne signifie pas encore beaucoup, elle n’y apparaît que sous la forme de la croyance d’autrui ; le père, la mère, les parrains, ou l’Église en général sont censés influencer Dieu par leurs prières et le disposer en faveur de l’enfant qu’on va baptiser : « C’est la foi d’un autre homme, dit Luther, qui me procure une foi à moi (XIV, 347). » Mais dans la sainte Cène cette subjectivité se montre tout ouverte-ment ; nous allons voir comment.

Quel est l’objet de la sainte Cène ? C’est évidemment le corps du Christ, un corps réel, mais qui en même temps ne possède aucun attribut nécessaire de la réalité. Il en est de ce sacrement comme de l’essence de la religion en général : l’objet ou le sujet dans la synthèse religieuse est toujours un sujet ou un attribut réellement humain ou naturel : et pourtant, si vous exigez que cet attribut soit essentiellement déterminé, la religion recule. Le sujet est matériel, l’attribut est immatériel, il y a donc contradiction du sujet et de l’attribut. Un corps réel se distingue d’un corps illusoire parce qu’il exerce sur moi des influences qui ne dépendent que de lui, et qui ne dépendent point de moi ; ainsi donc, si le corps du Christ est réellement dans ce morceau de pain blanc, il doit immédiatement produire sur moi des effets surnaturels et sanctifians, tout indépendans de mon organisme individuel. Il en est autrement ; on m’ordonne de me préparer pour l’Eucharistie, de ne m’y trouver qu’après m’être mis dans une disposition convenable. Pourquoi cette singulière préparation ? Quand je mange une poire, elle se fait sentir à ma bouche, et il ne me reste aucun doute sur l’existence réelle, physique de cette poire. Les catholiques disent qu’il faut être à jeun pour aller à l’Eucharistie et cela suffit, ce me semble. Le corps de Dieu, introduit dans l’estomac de l’homme, doit bien avoir la puissance d’exercer une influence matérielle sur