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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

mières dans un tableau, elle fait ressortir les contours et briller les couleurs ; le péché sert pour faire briller la vertu. Saint Paul reconnaît l’irrésistibilité de la grâce divine : « Je n’y ai aucun mérite, » dit-il à plusieurs reprises. Et il a raison : rien de plus absurde que de vouloir combiner la liberté de la volonté humaine avec la grâce divine, la liberté de la pensée avec le miracle ; la religion divise l’être humain en deux moitiés : à l’une l’activité humaine dite spontanée ou libre volonté, à l’autre encore une fois cette même activité humaine personnifiée sous la figure de Dieu, ou de la grâce divine. La grâce de Dieu est donc la libre volonté objectivée. L’action la plus honorable de Luther fut sans doute sa réfutation d’Erasme ; Luther nie complétement le libre arbitre de l’homme ; il l’appelle l’arbitre-serf en face de la grâce divine (XIX, 28), il prouve de la sorte l’invincible honnêteté, l’inébranlable fierté, l’inflexible droiture de sa conscience religieuse et de sa logique. « Le nom de libre arbitre, de libre volonté est un nom de Dieu, un titre de Dieu, et personne ne doit se l’arroger ; il n’existe que pour la Très-Haute et Très-Sainte Majesté de Dieu. » En méditant ces vaillantes paroles, on se sent un profond respect pour cette croyance austère et rigide, et on reste désormais convaincu qu’une hypocrisie sophistique est l’unique élément vital de la théologie moderne.

Des orthodoxes, surtout des rationalistes, ont objecté contre les effets merveilleux du baptême leur invisibilité sur terre : ces théologiens oublient que le christianisme se rapporte à un monde surterrestre : « Le baptême, s’écrie Metzger, n’enlève point tous les crimes et tous les vices de cette vie terrestre (Théolog. Schol. IV, 251, Pet. Lombard. IV, Distinct. 4, c. 4, et 1, Distinct. 32, c. 1). » Ils oublient que la vraie foi religieuse et dogmatique ne marchande pas avec l’expérience mondaine : croyez tout, ne croyez rien, choisissez ou l’un ou l’autre, mais n’en faites pas un mélange illogique, immoral et inesthétique. Un infidèle nie aussi la force objective de la prière ; il n’en trouve point, dit-il, des preuves suffisantes dans l’expérience ; un athée nie l’existence de Dieu, il n’en trouve point, dit-il, des preuves suffisantes dans l’expérience. La foi vraie doit être au-dessus de l’expérience.

On a eu tort, ce me semble, de vouloir démolir la théologie ; on n’y réussira jamais il faut la décomposer par l’opération dialectique, la dissoudre dans ses élémens. Alors, seulement alors on est sûr