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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

Humanité, genre humain, c’est-à-dire, l’homme qui cherche en Dieu un asile et qui fait le monde : c’est l’homme céleste. Le logos est l’homme-mystère, et l’homme-naturel est le logos manifesté. Le logos n’est que l’avant-propos de l’homme, et ce qu’on dit du logos, on doit le dire aussi de l’essence humaine : « L’union la plus intime, la plus cordiale que le Christ avait avec son Père, je pourrais l’acquérir moi-même pour moi, si je pouvais me défaire de tout ce qui m’est individuel, en devenant Humanité : tout ce que Dieu a donné à son Fils divin, il me l’a donné aussi à moi-même, aussi parfaitement qu’à lui : » —  « Il n’y a pas une différence entre le Fils inné de Dieu et l’âme de l’homme, » dit Tauler (p. 14, p. 68). Or, « qui connaît le Fils connaît le Père, » dit l’Évangéliste, donc il n’y a plus une différence réelle entre Dieu et l’homme.

Il en est de même quant à l’image divine ; elle est ici un être vivant, et nullement une représentation morte. L’homme est l’image de Dieu, signifie qu’il lui ressemble ; il est l’enfant de Dieu, les enfants sont toujours les images vivantes du père et de la mère. Mais voyez, cette ressemblance de Dieu et de l’homme n’est pas moins illusoire et trompeuse que leur parenté ; elle a, comme celle-ci, plusieurs degrés ; plus un homme est vertueux et croyant, plus il ressemble à Dieu. L’homme est donc le Sosie de Dieu, son alter ego ; leur identité fondamentale se cache derrière les brouillards de l’imagination, qui, toujours en opposition avec la raison, nie leur identité essentielle, en les renfermant dans deux individualités au lieu de les comprendre dans une seule. L’imagination aime les mystifications et la mystagogie.

Reprenons. La religion, c’est la lumière de l’esprit, mais une lumière qui se divise dans ce milieu que nous appelons imagination ou âme effective : il en résulte que l’être unique apparaît sous deux figures, sous deux aspects. La ressemblance de Dieu et de l’homme, ou plutôt leur identité essentielle, vient de la raison : cette unité rationnelle et idéale est tout-à-coup brisée par le milieu de l’imagination. Votre raison ne trouve point de différence réelle entre père et fils, original et copie, Dieu et l’homme : votre imagination y interpose l’idée de la personnalité ou de l’individualité, et elle obtient par cette opération l’idée de la ressemblance, qui se rapproche de l’idée de l’identité sans coïncider avec elle.