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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

Dieu est l’essence de l’imagination objectivée, il est la personnification et la déification de notre imagination ; cela résulte déjà des particules hyper, super, sur, qu’on n’oublie jamais de placer à la tête des attributs divins ; ces particules ont toujours joué un grand rôle non-seulement chez les théologiens chrétiens, mais aussi chez les néoplatoniciens, ces philosophes païens qui étaient déjà presque christianisés. Dieu est ici un être physique, mais émancipé des bornes physiques : c’est l’essence du monde physique illimitée ; l’imagination est absolument la même entité que Dieu. Elle est, comme Dieu, l’essence de l’univers d’où nous avons effacé toute limite, toute borne, toute distinction, toute différence ; Dieu est l’existence éternelle, l’existence unie et sans époques ; Dieu est l’existence toute présente, l’existence unie et sans espaces limités, et ainsi de suite. Or, chacune de ces définitions qu’on donne de Dieu, est parfaitement applicable à l’imagination.

Éternité et toute-présence sont deux qualités appartenant au domaine des sens, parce que, par elles, on ne nie pas l’existence dans l’espace et dans le temps en général, mais seulement l’existence bornée à un endroit, à une époque. L’omniscience de même est une qualité appartenant à la sphère des sens, la religion ne rougit même pas d’attribuer à son Dieu deux sens supérieurs, ceux de l’ouïe et de la vue (« Dieu voit tout, Dieu entend tout, etc. »), elle a osé même, quelquefois au moins, lui attribuer la faculté de la parole (« Écoutez la voix de Dieu, etc. »). Remarquez que cette omniscience de Dieu se rapporte aux objets du monde des sens, mais de sorte qu’elle les comprend tous à la fois sans avoir besoin de se les disposer d’après les endroits et d’après les époques ; c’est-à-dire, Dieu est capable de se représenter les choses de l’espace en faisant abstraction de l’espace, les choses du temps en faisant abstraction du temps, les choses des sens en faisant abstraction des sens. C’est impossible, illogique, du non-sens : mais c’est précisément à cause de cela, religieux, dogmatique, digne d’être un article de foi chrétienne : « Scit itaque Deus, quanta sit multitudo pulicum, culicum, muscarum et piscium, et quot nascantur quotve moriantur : sed non scit hoc per momenta singula, imo simul et semel omnia, » dit Pierre Lombard (I, distinc., 39, 3). Cela veut dire : J’élargis mon horizon à moi, tout rempli qu’il est d’objets physiques, je l’élargis par mon imagination, au point d’en faire un cercle qui embrasse tout