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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

maine actuelle. Les uns possèdent en abondance tout ce qui peut agréablement exciter les nerfs de leurs palais, les autres n’ont pas même un misérable morceau de pain. Delà viennent tous les maux, toutes les souffrances de l’humanité, même ses maladies de cerveau et de cœur, et quand aujourd’hui encore on n’écrit que des livres qui ne s’occupent pas directement de cet objet, on ferait mieux de briser sa plume. » Eh bien, soit je n’écris pas d’autres livres.

Mais remarquez, je vous en prie, qu’il y a aussi beaucoup de maladies, même des maladies d’estomac, qui ont leur origine dans la tête ; ce sont précisément celles dont je me suis proposé d’étudier la pathologie et la thérapeutique : et vous savez : Fortem ac tenacem propositi virum….

La sophistique chrétienne, cette cruelle maladie du cerveau et du cœur, consiste principalement à poser en axiome l’incompréhensibilité de l’Être divin. Le secret de cette incompréhensibilité, nous le prouverons sans difficulté, n’est rien autre chose qu’une fraude : on fait d’une qualité connue une qualité inconnue, d’une qualité naturelle une qualité surnaturelle ou contre-nature, et de là naît l’illusion d’une différence essentielle entre l’Être divin et l’être humain ; or, comme l’Être humain est compréhensible, il s’ensuit rigoureusement que l’Être divin est incompréhensible. La religion, je le sais, en proclamant l’incompréhensibilité de son Dieu, a cédé à l’admiration que lui inspira l’univers ; elle donne à entendre par cette exclamation : « Dieu est incompréhensible, » — ou comme le Coran dit : « Dieu est grand, » — que l’imagination est profondément impressionnée. Mais les différences que l’imagination établit, ne sont que des différences quantitatives, elle n’en saurait trouver d’autres (qualitatives, par exemple), et c’est ainsi que la différence primitive entre Dieu et l’homme, aux yeux de la religion, est une différence imaginative ou quantitative, en même temps qu’il y a entre eux une différence d’après l’existence, en ce sens que Dieu y est opposé à l’homme comme un être indépendant à un être dépendant. Nous voyons ainsi que l’immensité de Dieu dans la religion est une immensité quantitative, et nullement qualitative : Dieu possède tout ce que l’homme possède, mais dans un degré infiniment augmenté ; en d’autres termes, Dieu est un colosse, l’homme est une miniature, mais l’un est mathématiquement semblable à l’autre.