Page:Feuerbach - Qu'est-ce que la religion ?,1850.pdf/383

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
371
L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

quelque chose de la faiblesse et de l’esprit naturel de l’homme, c’est donner la liberté à chacun d’en faire le discernement et de rejeter ce qui lui plaira de l’Écriture, comme venant plutôt de la faiblesse de l’homme que de l’esprit de Dieu (Bayle, Diction. Art. Adam (Jean). Rem. E.). »

Ainsi, il n’est plus permis de douter : la croyance à une révélation historique conduit irrésistiblement à la superstition ; elle mène à la sophistique. La Bible se moque mille fois de la vertu et de la raison ; or, elle est la parole de Dieu, la vérité éternelle, et la vérité ne doit jamais se laisser surprendre en flagrant délit de contradiction ; ce que Pierre Lombard exprime par la fameuse phrase : Nec in scriptura divina fas sit sentire aliquid contrarietatis (II, distinc., II, c. 1). Ce fas sit est délicieux… Les Pères de l’Église ont dit la même chose.

Remarquez ici en passant, que si le jésuitisme catholique exerce les armes de sa sophistique sur le domaine de la morale, le jésuitisme protestant (qui existe, bien que sans former une corporation) s’est choisi pour champ de bataille l’exégèse de la Bible. Mais ce qui est intéressant à savoir, c’est que la sophistique chrétienne est le produit de la foi chrétienne, surtout de la foi biblique. L’intelligence joue un rôle tout passif dans tout ceci ; la vérité absolue étant donnée objectivement dans la Bible et subjectivement dans la foi, on n’a plus qu’à se résigner ; qui oserait déployer une activité de réflexion vis-à-vis de la pensée de Dieu ? La raison se trouve ainsi dégradée au point de faire ce qui n’est pas de son ressort, et de ne pas faire ce qui en est ; elle n’a plus de critérium en elle-même, elle ne distingue plus entre vrai et faux, elle ne s’enthousiasme plus pour la vérité, elle s’incline devant ce qui a été dit dans la révélation, même si cela est déraisonnable et irrationnel. La raison se voit ainsi abandonnée sans résistance aux hasards de la plus détestable empirie ; elle doit protéger par des argumentations dites rationnelles tout le non-sens de la révélation ; la raison est ici vraiment le pauvre chien du maître (canis Domini), et elle n’a pas même la permission de choisir parmi les divers articles dogmatiques que la foi lui présente ; tout choix serait un doute, un crime de lèse-Dieu. Il arrive ainsi que la raison s’égare dans un penser indifférent, accidentel, intrigant, dépourvu de vérité, bref dans des sophismes sans fin. Plus l’homme fait des progrès dans la civilisation scientifique et