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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

sacrifices : il satisfait donc d’une manière plus large et plus profonde que tout autre nos antipathies et nos sympathies personnifiées sous la figure de la divinité. Sur les sacrifices humains dans le culte hébreux voyez les recherches de MM. Ghillany et Daumer ; mais dans la religion chrétienne aussi la colère de Dieu n’est apaisée que par l’effusion d’un sang humain : le Fils de Dieu et de l’Homme doit mourir pour concilier Dieu avec l’Homme. Il fallut donc le noble sang d’un homme pur et sans péché : un pareil sang est précieux au-dessus de tout, lui seul possède une puissance si surnaturelle, si miraculeuse, si magique qu’il fait fléchir le courroux de Dieu. L’anthropothysie est donc la terrible et sublime fleur de la religion en général ; elle prouve que l’essence de la religion est non-seulement l’essence de la nature, mais aussi l’essence de l’homme[1].

« Pour l’Allemagne la critique de la religion est essentiellement finie ; or, la critique de la religion est la base de toute sorte de critique.

« L’existence profane de l’erreur est compromise, car son oraison céleste pro aris et focis a été réfutée. L’homme avait cherché un Homme surhumain dans la réalité imaginaire du ciel, et il n’y trouva que le reflet de son propre être ; l’homme ne sera pas non plus incliné désormais à se contenter d’un fantôme représentant son propre être dans cette vie terrestre, où il devra à présent chercher et trouver la véritable réalité.

La base de la critique anti-religieuse, la voici : l’homme fait la religion, ce n’est point la religion qui fait l’homme. Et remarquez que la religion est la conscience du moi ou le sentiment du moi dans un homme qui pour ainsi dire ne s’est pas encore trouvé, ou dans un homme qui s’est déjà de nouveau perdu. Or, l’Homme n’est pas une entité abstraite, un être résidant au-delà de l’univers ; l’Homme c’est le monde humain, c’est l’État, c’est la Société. Cet État et cette Société produisent la religion ; cet État et cette Société

  1. C’est donc ici que le traité l’Essence de la Religion se rattache à cet autre intitulé l’Essence du Christianisme. Le traducteur intercale ici une partie de sa belle introduction à la critique de la philosophie hégélienne du droit, par M. Karl Marx (Annales franco-allemandes. 1844. Paris).  (Le traducteur.)