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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

Donnez-moi le Miracle pour ligne d’opération, et je vous prouverai sans la moindre difficulté, non-seulement tout ce que vous voulez, mais aussi tout ce que je veux je me fais fort de vous démontrer historiquement, par exemple, qu’un végétal naît de sa cendre, ce qui a été avancé par quelques écrivains respectables. L’orthodoxie a beau dire les vrais miracles ne viennent que de Dieu, ils sont surnaturels, ceux du Démon ne sont que des phénomènes extranaturels (Walch, Dictionn. phil. 2541) ; l’essence de ces deux espèces de miracles est identique. Sa signification, je le répète, est Toute-Puissance, ou du moins Puissance arbitraire et Caprice dans l’un comme dans l’autre cas. Cléricus a déjà prouvé que les prestiges des prêtres égyptiens devant Pharaon méritaient aussi bien le nom honorable de miracles que ceux de Moïse (Comment. Exod. VII, 11, p. 36), et en outre la différence quantitative, qu’il y a d’après les orthodoxes entre le plus et le moins de la force miraculeuse de Dieu et du Démon, est sans importance. Ils auraient dû démontrer une différence qualitative, mais celle-là n’y existe point. En revanche ils ont dit : le Démon a une puissance limitée par sa nature à lui, et Dieu une puissance limitée par la nature de l’objet ; c’est un sophisme. D’autres ont toujours avoué que le Démon faisait des miracles : vera miracula (Peucer, Comment. de præc. div. gener.), comme saint Augustin (Civ. Dei, XXI, 6) ; quand il ajoute (XVIII, 16) que le Démon ne sait faire que ceux que Dieu lui permet, il oublie que le Démon même n’existe que par la permission divine : Du reste, les jésuites disent « Le Démon peut faire qu’une vierge reste ce qu’elle est et donne néanmoins la vie à un enfant (Bucher, les Jésuites de Bavière, II, 363. Becker, Monde enchanté, I, 22). » Enfin, la seule différence entre les deux espèces de miracles est leur but ; mais ce but reste éternellement dans un rapport extérieur, un miracle de Dieu n’a point une différence objective, intérieure qui le fasse distinguer d’un miracle de Satan. Le changement de l’eau en sang par les magiciens de Pharaon vaut bien la transformation de l’eau en vin au banquet de Cana, abstraction faite de la tendance. Et le pieux sceptique Lamothe de Veyer avoue avec un profond soupir (IX, 363) : « Quoique Dieu seul fasse de véritables miracles, les mages de Pharaon produisirent de vrais serpents et de vraies grenouilles. L’on ne saurait donc user de trop de circonspection sur une matière où l’imposture se glisse