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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

tre être placé en dehors d’elle. Cette âme s’imagine d’être un être passif, tandis que son Dieu est un être actif. Remarquez cependant qu’il y a ici un cercle dans le raisonnement ; l’homme est passif vis-à-vis de Dieu, mais Dieu n’agit qu’à cause de l’homme (qui est aux yeux de la religion le but unique de la création) ; ainsi, Dieu est passif, mais, d’un autre côté, l’homme recevant de Dieu des révélations est passif, etc. Eh bien ! cette série de syllogismes entrelacés peut s’exprimer par la formule suivante : « L’homme est déterminé par lui-même. La révélation de Dieu est un mystère qui dit que l’homme se détermine lui-même ; cela est un peu prosaïque, j’en conviens, mais c’est vrai. Ainsi, Dieu est ici un lien, un vinculum substantiæ, qui sert de médiation entre l’essence ou le genre et l’individu ; l’homme se met donc en rapport avec l’essence humaine par l’intercalation d’un milieu, et ce milieu c’est Dieu ; Dieu est ainsi interposé par l’homme entre le déterminé et le déterminant.

La religion avoue elle-même qu’elle a fait des progrès ; elle se vante d’avoir abandonné des objets trop matériels, par exemple, le Jéhovah si ressemblant à l’homme ; mais elle est tout à fait intraitable quand il s’agit de l’objet dont elle s’occupe actuellement. Là elle ne veut point entendre raison, et elle se désole quand le philosophe critique lui démontre froidement ce qu’elle a déjà perdu et qu’elle va perdre tout à l’heure. Quel pieux ébahissement, par exemple, quand le dogme de la transsubstantiation alla s’écrouler ! elle était déjà perdue, malgré les tristes efforts de Descartes, aussitôt que ce philosophe eut anéanti les absurdes Qualités et les Accidents des scolastiques, qui seuls avaient garanti la possibilité de ce dogme. Les Pères de l’Église, et surtout le Père des Pères, disent : Non ob aliud vocatur omnipotens nisi quoniam quidquid vult potest (Civ. Dei XXI, 7, 8), en d’autres termes, Dieu peut tout ce qui lui passe dans sa volonté, dans sa tête ; c’est-à-dire, tout ce qui te passe dans la tête à toi. Gardons-nous cependant de croire que ces auteurs aient dû cette détestable idée aux influences de leur époque arriérée ; la foi seule en était la cause et saint Augustin est forcé d’admettre les miracles païens ; voilà où conduit l’impitoyable logique. On reproche à M. David Strauss qu’il renverse l’histoire humaine d’un bout à l’autre, mais elle a été, ce me semble, incertaine déjà longtemps avant lui, et elle ne gagne rien avec la méthode opposée, celle qui proclame le Miracle comme un fait réel, non mythique.