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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

cessaire et le hasard, le propre et l’étranger, l’essentiel et le non-essentiel ; voyez comme elle ramène à la liberté les choses violemment réunies : voyez comme elle combine ce qui avait été violemment séparé ; voyez, réfléchissez, et vous vous inclinerez humblement en disant : Oui, la raison humaine est absolue, est suprême, est divine, si l’on tient à cet adjectif traditionnel du dictionnaire. La raison, qui opère ce que je viens d’énumérer, prouve par là même qu’elle est une puissance universelle et en même temps spéciale, c’est-à-dire, qui s’occupe de l’univers comme de chaque particule de l’univers ; une puissance qui, comme le Sauveur dans l’Évangile, sait lier et délier, joindre et séparer ; la raison humaine est donc l’amour suprême, elle fait le salut du monde, elle est le Sauveur de l’homme et de la nature. Ah ! vous croyez donc que la raison pourrait rétablir le texte original, pour ainsi dire, des choses, leur essence purifiée et idéalisée, même sans être elle-même l’essence la plus pure, la plus idéale ? Alors, vous êtes dans une erreur illogique et ridicule.

La raison humaine est impartiale. Elle trouve que le petit ver que nous foulons aux pieds, mérite aussi bien son attention que le soleil, que l’homme. La raison humaine est donc exempte de toute faiblesse, de toute sympathie particulière ; elle embrasse tout, elle est l’amour de l’univers pour lui-même, l’être tout-aimant et tout-miséricordieux. La raison humaine fait la grande apocatastase, elle ressuscite tout objet trépassé, elle concilie toutes les choses, elle fait la paix de l’univers. La raison humaine, devant laquelle la déraison théologique frémit, est bien d’essence universelle puisqu’elle s’intéresse pour l’universalité : la raison (ou ce qui revient au même, la déraison) théologique ne s’occupe dans son égoïsme étroit que de l’homme, mais la raison humaine veut faire, pour ainsi dire, une grande et belle fête des Tous-Saints, une fête universelle d’où aucun être ne serait exclu, ni l’animal dépourvu de raisonnement, ni le végétal muet et immobile, ni le minéral dépourvu de sensation. La raison, qui est ainsi remplie d’un intérêt illimité pour tout, est donc elle-même une essence illimitée ; qui oserait nier cet axiome psychologique, que l’essence d’un être et l’intérêt qu’il est capable de sentir, sont toujours en rapport direct ? L’intérêt qu’un être prend aux objets, ne va pas au-delà de l’horizon de son essence, mais il ne reste pas non plus en deçà.

La raison a une soif inextinguible de savoir tout, elle éprouve un