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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

naturelles, elle sera bientôt pulvérisée tout entière, et ne sera conservée que comme un souvenir du passé dans le grand musée du développement et des progrès humanitaires ; absolument comme la croyance aux miracles devient, elle aussi, à la fin un objet de ce même musée[1].

  1. Hégel dit avec raison : « L’accusation qu’on lance aujourd’hui contre la philosophie, est surtout celle d’être panthéiste, c’est-à-dire qu’elle s’occupe trop de Dieu ; tandis que l’autre reproche, de ne pas avoir assez de Dieu ou d’être athée, commence un peu à vieillir. On dit aujourd’hui à la philosophie : Tu es athée, et cela est clair, tellement que nous n’avons pas même besoin de te le prouver, puisque c’est là un fait accompli. Voilà comme la piété religieuse, qui est toujours fastueuse sous son masque d’humilité, au point de se croire dispensée de construire une argumentation en règle, s’exprime à l’égard de la philosophie supérieure, et la piété est cette fois entièrement d’accord avec le vide raisonnement philosophique dit le Bon Sens. La théologie et la piété avaient cependant un plus grand honneur quand elles accusaient un système philosophique, par exemple celui de Spinosa, d’être athée ; l’accusation de panthéisme au contraire appartient à la piété et à la théologie modernes, qui sont considérablement dégénérées. Elles disent que la religion n’est rien autre chose qu’un sentiment personnel, et que Dieu ne saurait être entendu, compris, conçu, reconnu que par la réflexion ; de manière qu’elles finissent par avoir un Dieu (à la Schleiermacher, par exemple) dépouillé de tout caractère et de toute détermination objective. Certes, le christianisme baisse aussitôt qu’il cesse d’étudier, comme jadis, la notion d’un Dieu concret, réel, circonscrit, et qu’il ne le considère plus comme une des formes historiques de l’entendement et de l’âme affective. Le christianisme fait ainsi la découverte que dans toutes les religions il y a eu une divinité vague et flottante ; le bœuf adoré des Égyptiens, le Dalai Lama des Tibétains, les singes sacrés, les vaches sacrées des Hindous, expriment, malgré toute l’absurdité du culte dont ils sont l’objet, l’idée abstraite de la divinité en général. Or, la théologie moderne, qui se contente de ce Dieu général, qui est déjà satisfaite quand elle a trouvé n’importe quelle trace de religiosité ou de sentiment religieux, puisqu’elle y voit partout Dieu, cette espèce de théologie sentimentale doit nécessairement rencontrer un Dieu aussi dans la philosophie, et ne peut donc plus raisonnablement répéter contre elle le mot un peu usé d’athéisme. Mais remarquez bien, la douceur inattendue que la religion moderne montre ici envers son éternelle ennemie, vient de ce qu’elle a affaibli elle-même son Dieu, cette notion jadis si concrète, si riche d’énergie vitale et d’idéal. » —  De là vient, aurait pu ajouter Hégel, que l’imperturbable indocilité de la théologie actuelle, soit catholique, soit acatholique, ne cessera désormais de répéter que dans la philosophie Dieu est censé être caché dans tout objet. Ce serait là en effet un panthéisme qui mériterait d’être appelé pandémonisme. Mais la théologie moderne chercherait en vain un exemple pour prouver ce qu’elle vient d’avancer. La philosophie peut défier la théologie mo-