Page:Feuerbach - Qu'est-ce que la religion ?,1850.pdf/365

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
353
L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

stence absente, qui échappe aux sens, mais qui est d’essence matérielle ; l’imagination, elle est comme une lanterne magique. « Le Christ, dit ainsi Luther (XII, 643), est monté au ciel ; cela signifie qu’il n’est pas seulement là-haut, mais toujours encore en même temps ici-bas. Il est monté là-haut afin que tout le monde puisse le voir. » Cette phrase veut évidemment dire que Dieu le Christ est un objet de l’imagination, un objet existant dans le domaine fantastique, une existence imaginative, et par là il est universel et appartient en effet à tout le monde, puisque tout homme a de l’imagination. Dieu existe dans le ciel ; or, ce ciel n’est rien autre chose que l’imagination, donc Dieu est universel ou tout-présent. Voulez-vous éviter l’athéisme ; jetez-vous bravement dans les bras de l’imagination capricieuse et fantasmagorique, qui est capable d’accoler une existence qui est du domaine des sens, avec une existence qui ne l’est pas. Dans l’imagination l’existence éclate en signes, et montre des manifestations ; là où Dieu est encore une ferme et solide croyance, il se dévoile parfois aux hommes, et les visions célestes n’y ont rien d’incroyable. Luther : « Tu n’as point à te plaindre en te comparant à Abraham ou à Isaac, car toi aussi tu as des visions, des apparitions divines. Tu as le saint Baptême, la sainte Cène, où le pain et le vin sont des formes sous lesquelles Dieu parle à ton cœur, à tes yeux et à tes oreilles » (il aurait pu ajouter : à la membrane muqueuse de ta bouche). « Ce Dieu t’apparaît dans le baptême, il te baptise, il t’apostrophe… Ainsi tout ici-bas est rempli d’apparitions et de conversations divines (II, 466 ; XIX, 407). » Tout cela va bien jusqu’au moment où le feu de l’imagination s’éteint ; avec lui disparaît nécessairement Dieu, cet arc-en-ciel religieux projeté dans des vapeurs ; en d’autres termes, là où les effets physiques de l’existence également physique cessent, cette existence même se meurt, parce qu’elle est dévorée par une contradiction interne. Cela fait, l’athéisme arrive, irrésistible et logique. Résumons. La croyance à l’existence de Dieu est donc la croyance à une existence particulière, séparée de l’existence de l’Homme et de la Nature. Une existence particulière ne saurait se manifester, se constater que d’une manière particulière : il faut donc des miracles, c’est-à-dire des apparitions immédiates, directes de Dieu, et ces miracles ne font point défaut. Mais là où la croyance en Dieu s’est déjà infiltrée de la croyance au monde naturel et aux causes