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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

térialisme, occasionnalisme ; le mot d’Hippocrate : « La nature invente elle-même ses voies, mais non par l’intelligence (Ouk ex dianoïas), » fut décrié comme athée et païen. G. Bruno et Spinoza avaient seuls une idée de ce qui était la vie intérieure de la nature ; et encore le grand juif devait-il se laisser dire : Votre Substance, qui est le Rationnel, n’est ni raisonnable ni intelligente. » Mais la sagesse, la bonté, sont les attributs généraux et mal circonscrits d’un sujet personnel qui, non virtuellement (à cause de la toute-présence), mais essentiellement, est pensé comme existant hors de l’univers ; quant à la toute-puissance, elle est un attribut non-seulement non-déterminé, mais vide de sens. Comment maintenant établir une connexité entre les qualités vagues dont je viens de parler, et un être naturel déterminé ? On reconnaît Dieu également bien ou également peu d’un minéral A, d’un minéral B, d’un animal C. Au fond cette admiration de la puissance surnaturelle de Dieu n’était jamais autre chose que l’admiration qu’on avait pour l’objet-en-soi ; ce sentiment, d’abord très distinct de la religiosité, se mit dans l’âme de l’observateur en contact avec l’idée qu’il avait déjà de Dieu. Rien au monde ne peut empêcher l’homme d’avoir ce même sentiment tout séparé de cette idée. Or, la science naturelle ne sait que faire d’un objet dont on la force à tout instant de se détourner, pour fléchir le genou devant Dieu : elle préfère de se résigner tout à fait et laisser le champ libre à l’idée religieuse. Celle-ci en effet est parfaitement satisfaite par des observations extrêmement superficielles, par exemple qu’il y a chez les plus petites bêtes à peu près les mêmes organes que chez nous ; saint François-d’Assise fondit en larmes religieuses chaque fois qu’il vit l’insecte le plus mesquin. La théologie nuit à la philosophie, dit Bayle, et bien plus, aurait-il pu ajouter, à la science de la nature. Les cartésiens tourmentaient leur intelligence pour prouver la triste et fameuse thèse l’animal est une machine inanimée, et ils y réussissaient à merveille parce qu’ils s’adressaient à la théologie augustinienne, et Leibnitz avait une véritable manie de tirer non-seulement de ses propres idées, mais aussi de celles des autres philosophes, des conséquences théologiques.

La téléologie n’a pas même cela de bon qu’elle dirige notre attention sur la nature ; car la sagesse de Dieu n’y est comprise que dans un sens tout subjectif et en analogie avec le bon sens le plus vulgaire, le plus naïf, parfois très trivial et ignorant. L’homme per-