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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

peut parler avec impartialité dans ses propres affaires ; la conclusion logique est ici au-delà de l’horizon chrétien.

Les démonstrations de l’existence de Dieu veulent manifester ou objectiver l’essence humaine, et en même temps l’avérer. Il arrive donc que ces diverses démonstrations sont autant de formules, très intéressantes, très importantes, par lesquelles l’être humain s’affirme, s’objective, se manifeste à lui-même : ainsi, par exemple, la démonstration dite psychothéologique est l’affirmation d’une intelligence qui marche vers un but pratique. Considéré sous ce point de vue, chaque système philosophique est une preuve de l’existence de son Dieu.

Par son existence, ce Dieu devient donc un être en dehors de nous, il cesse d’être exclusivement à nous et d’être présent dans notre foi intérieure, dans notre âme affective, dans notre sentiment et dans notre pensée ; il acquiert désormais une énergie vitale, pour ainsi dire, il devient un être existant, et par là réel ou physique. Je sais bien que la théologie se permet encore ici d’escamoter les mots ; elle entend la phrase existence en dehors de nous, non dans son sens propre, mais dans un sens impropre, dans un non-sens ; elle ruine donc par là malgré elle l’existence de son Dieu ; car si la phrase existence en dehors de nous doit s’entendre d’une façon métaphorique, alors l’existence de Dieu aussi n’est plus qu’une métaphore ou une chimère : voilà où conduit la théologie sophistique.

Existence réelle, physique, naturelle, matérielle, n’importe le nom, est une existence qui ne dépend pas de mon activité ; une existence donc qui n’est pas seulement différente de la mienne (comme le voudrait la théologie), mais bien une existence qui exerce une influence irrésistible sur moi, et qui est là, en dehors de moi, sans que j’y pense. L’existence de Dieu serait donc une existence locale, qualitativement déterminable, bref matérielle. Or, Dieu n’est matériellement senti, vu, entendu par conséquent, Dieu n’existe pas pour moi si je n’existe pas pour lui ; cela veut dire qu’il n’existe que sous la condition que j’y croie ; ce Dieu est donc le résultat, le produit de ma croyance en lui. Si je n’ai point de penchant pour la religiosité, si je ne m’élève pas au-dessus de la vie des sens, Dieu ne sera jamais un objet pour moi. Il n’existe donc qu’autant qu’il est senti, pensé et cru, et je puis me dispenser d’ajouter « pour moi » ; d’où