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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

Au commencement de la religion, la différence essentielle, qualitative de l’homme et de son Dieu est zéro ; l’homme, cet enfant naïf des époques primitives, ne s’en scandalise point . Ainsi, aux anciens Hébreux, le grand Jéhova était différent de l’homme quant à l’existence (âge, dimension, etc.), mais parfaitement identique avec l’homme quant à l’essence qualitative et intérieure : il avait les mêmes facultés, les mêmes qualités d’esprit et de corps comme tout autre Israélite. Un temps vint où le judaïsme, devenu plus âgé, avait perdu sa naïveté primitive, où il se mit à allégoriser, car il avait désormais honte de tous les anthropopathismes et anthropomorphismes, dont il avait jadis affublé sa Divinité nationale, et il tomba alors dans l’autre extrême, il établit une séparation des plus profondes, des plus impitoyables entre Dieu et l’homme. Il en est absolument de même dans le christianisme ; les plus anciens de ses codes et documents n’enseignent pas encore d’une manière bien frappante la divinité de Jésus-Christ, et saint Paul surtout nous le présente comme un être extrêmement vague, flottant entre le ciel et la terre, entre Dieu et le genre humain, comme le prince des anges, le premier-créé plutôt que le premier- de Dieu, et partant comme une simple créature de Dieu, ou, si vous voulez, un être engendré de Dieu ; mais alors avouez que les autres anges et les hommes sont aussi engendrés par Dieu. Ce n’est que plus tard que l’Église jugea à propos de lui donner le monopole d’un être éternel et non-créé[1]. Le débat par lequel la réflexion théologi-


    orthodoxes ; on brûle leurs livres partout où on les trouve, on tue celui qui cache ces livres et on confisque ses biens (Gibbon, Hist . de la Déc. XI. 12). »  (Le traducteur.)

  1. C’était bien là la source principale de toutes les persécutions et de toutes les guerres contre les hérétiques. Les hérésies chrétiennes, si variées entre elles, ont depuis dix-huit siècles cela de commun qu’elles diffèrent de l’Église sur l’identité absolue du Christ et de Dieu, de la nature (essence) humaine et de la nature (essence) divine . Le væ victis que l’Église triomphante, devenue opprimante à son tour d’opprimée (pressa) qu’elle avait été, à Rome comme à Byzance, fit entendre pendant une si longue époque contre les hérésies, n’a pas empêché le progrès humanitaire, mais il l’a arrêté. Il serait une recherche curieuse à entreprendre sur la valeur politique et sociale des doctrines manichéenne, arienne, paulicienne, albigeoise, etc. Ce qui me paraît déjà constaté, c’est que l’état intellectuel et moral chez ces hérétiques était toujours aussi bon, et souvent meilleur, que chez les catholiques.  (Le traducteur.)