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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

l’Intolérance, c’est le Démon. La tolérance. au contraire, est un signe caractéristique de la vérité, parce que celle-ci, toujours sûre d’elle-même. se reconnaît encore dans l’erreur, et n’ignore pas que l’unité infinie de l’Essence ne peut se manifester que dans la variété Infinie de la Forme. Or, la théologie augustinienne, avec les deux ou trois notions si mesquines dont elle dispose, exige l’intolérance ou, ce qui revient au même, une tolérance bornée, pour les abriter derrière le privilège contre tes flèches solaires de l’Intelligence ; donc elle adore le Démon. Luther, tout humain qu’il est, devient inhumain, diabolique, quand il combat la vérité, ce qui lui arrive dans sa terrible discussion avec le grand critique Erasme : « Je vous prie, vous tous, pour qui l’honneur de Christ et de l’Évangile est une chose sérieuse, que vous veuillez être ennemis de cet Erasme… Jusqu’ici j’ai hésité, je me disais si tu le tues, qu’arrivera t-il ? J’ai tué Thomas Munzer, dont la mort me pèse sur le cou, mais je l’ai tué parce qu’il voulait tuer mon Christ. » Un jour Luther dit aux théologiens protestants Pomeran et Jonas : « Je vous recommande comme ma dernière volonté d’être impitoyables pour ce serpent ; dès que je reviendrai en santé, je veux, avec l’aide de Dieu, écrire contre lui et le tuer. » La philosophie païenne est presque toujours tolérante : « On a eu raison de dire, que les mortels imitent Dieu de la façon la plus convenable par la bienfaisance et la charité ; et plus juste encore serait de dire qu’ils le font en vivant heureux (eudaimonosi), par des joies, des solennités, des discussions philosophiques et les arts des muses (Strabon) ; » Sénèque (De Ira, II, 6) a évidemment la même manière de voir : Gaudere læterique proprium et naturale virtutis est, et Leibnitz, dans sa critique des écrits du comte Shaftesbury, dit peu près la même chose.

La vraie religiosité est identique avec les vraies joies vitales, mais n’oubliez que parmi elles il faut compter la pensée logique et le cœur éclairé par la pensée [1].

  1. Augustin n’est guère de cet avis, ce semble, quand il s’écrie (Contra Faust. XIII, 14), en parlant des livres manichéens en Afrique : Tam multi , tam grandes, tam pretiosi —  incendite omnes illas membanas ; ni Pierre le Sicilien non plus , quand il cite avec une féroce joie l'édit byzantin contre les cent mille pauliciens de l'Asie (p. 759) : « On tue les manichéens et les montanistes sur le commandement des empereurs par la grâce de Dieu (divins) et