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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

pour que Bayle l’aurait dû maintenir. Au lieu de le faire, il la ploie, il la brise sous le poids du mythe biblique ou de la tradition fabuleuse.

Il ne voit donc pas que par-là il invite la foi basée sur des autorités, foi nécessairement aveugle, sourde et partant imbécile, à prendre possession de l’individu et de la société ? Il oublie ici qu’il l’a vaillamment combattue dans le Comment. phil. et ailleurs. En habile opérateur il a réussi à couper jusqu’au dernier tous les liens par lesquels le dogme de l’éternité des peines infernales était attaché comme membre chéri à l’organisme religieux ; il a dit contre ce dogme, qui lui parut être le principal, tout ce qu’on savait dire dans son époque, et cela doit nous concilier avec Bayle. Ce penseur français frappe les dogmes sans les tuer, c’est une faute, mais pas plus grande que celle des philosophes allemands qui protègent et justifient les dogmes sans les entendre dans le sens de l’Église. Cette confusion d’idées, qui ressemble fort à un mensonge et à une lâcheté, date en Allemagne de Leibnitz qui, malgré son apologie de la foi, fut appelé par le bas peuple hanovrien monsieur Sans-Foi (Herr Loevenix), probablement parce qu’on le vit rarement à l’église. Il n’y a pas de juste milieu : les dogmes eux-mêmes prononcent hautement, hautainement ce qu’ils sont, ils ne sont point des symboles muets, des allégories susceptibles d’un million d’interprétations, il faut donc ou les accepter sans condition, ou les rejeter sans exception, et si la science en veut faire un objet, que cela soit seulement dans les recherches critico-génétiques.

Gardons-nous d’en faire un objet de la spéculation métaphysique et mystique ; elle fait semblant de critiquer, mais elle est dépourvue de toute faculté critique et ne sait faire que des explications arbitraires et capricieuses, sans jeter un regard dans la nature intérieure de l’objet. Quelques auteurs s’écrient : Nous allons perdre avec nos dogmes les mystères de notre pensée, mais c’est encore une erreur ; les vrais mystères, les véritables secrets de l’univers sont bien autrement puissants et féconds, attrayants et vivifiants que toutes les fantasmagories de toutes les théologies dogmatiques. Les pierres et les plantes par exemple ne possèdent plus que des qualités naturelles, et précisément à cause de cela on leur en a trouvé de plus dignes de la pensée et de plus admirables que celles, dont la pieuse superstition païenne, juive et chrétienne les avait gratifiées,