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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

(Div. Inst. III, 28) a raison : « La nature est un rien, absolument néant, aussitôt qu’elle n’a plus en elle la Providence et la Puissance divines, » et saint Augustin : « Omnia quæ creata sunt, quamvis ea Deus fecerit valde bona, Creatori tamen comparata, nec bona sunt, cui comparata nec sunt : altissime quippe et proprio modo quodam de se ipso dixit : Ego sum qui sum (De perfectione just. hom., c. 14). » La religion se moque de l’univers, puisqu’il est objet de la raison théorique et de la théorie rationnelle : elle méconnaît ce qu’il y a de sublime dans les travaux d’un naturaliste et dans les inspirations d’un artiste, dans les recherches d’un penseur ; elle reste constamment incapable de sentir les joies intellectuelles, les plus belles et les plus dignes de l’être humain. La vie s’offre à la religion sous une forme ennuyeuse et vide, elle en cherche le supplément nécessaire, et elle le trouve dans Dieu. Voilà donc ce Dieu devenu l’intuition pure, la vie de la théorie : theoria dans la signification si élevée, si large, si riche, si profonde que les philosophes païens donnaient à ce mot. Contre la grandeur de ce point de vue théorique il n’y a rien qui tienne ; l’homme y est content et tranquille, joyeux et bon, fort et modeste : bref, bienheureux. Quand il a pris place sur cette incomparable hauteur : il y est désormais dans la région de la félicité suprême qui ne peut plus être troublée, parce que son cœur discipliné et son intelligence systématisée y sont également satisfaits ; les objets dont il s’occupe luisent à ses yeux dans la lumière éternelle de la libre intelligence, ils y luisent comme un cristal de roche, comme un diamant, avec les couleurs et les rayons de la beauté suprême. L’intuition théorique et objective est esthétique, l’intuition subjective et pratique en est le contraire. Delà vient l’effort que la religion fait de retrouver en Dieu ce trésor perdu, cette intuition esthétique. Ainsi, ce Dieu est pour les hommes religieux ce que pour nous autres, pour les hommes de la theoria, est l’univers objectif : ce Dieu, loin d’être rempli de besoins pratiques et mondains, est la personnification de l’essence de la theoria esthétique. Aurèle Augustin exprime cela assez bien : « Pulchras formas et varias, nitidos et amœnos colores amant oculi : non teneant hæc animam meam, teneant eam Deus qui hæc fecit ; bona quidem valde ; » – « mais, ajoute-t-il en bon chrétien anti-naturaliste, Dieu est mon bien, et point ces choses là (qu’il a créées). » Confess. X, 34. Et encore : « Amandus igitur solus Deus est, omnis