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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

tion belle, bonne et sainte de Dieu. La sainteté seule, cette catégorie suprême de chaque religion, et dont la forme subjective est la foi, est tout à fait indifférente à la valeur morale de l’objet saint : les fétichistes trouvent que leurs idoles sont très sacrées, ils frissonnent de respect devant elles.

La sainteté n’est donc pas une notion primitive, ce qui est vrai est saint, mais ce qui est saint n’est point pour cela vrai. Une action sacrée peut être précisément le contraire d’une action morale, elle peut être un crime.

L’acte principal, dans lequel la religion manifeste son essence, c’est la prière. La prière est toute-puissante, non-seulement pour obtenir des choses spirituelles, mais aussi des choses matérielles ; de sorte que Dieu qui exauce la prière n’est plus la cause éloignée, mais la cause la plus rapprochée de tout effet naturel. Les causes, ou forces, dites intermédiaires disparaissent aux yeux de l’homme priant ; il veut aller immédiatement vers son but, il n’a pas besoin de traverser le milieu épais des intermèdes. Ce n’est que l’incrédulité qui voudrait restreindre la prière à des objets purement spirituels ; comme si l’essence de la religion ne consistait précisément à faire des miracles, à découvrir des miracles, et à expliquer toute chose miraculeusement[1].

Là où la religion commence, le miracle va commencer aussi, et la vraie prière est un acte de la force merveilleuse. Par le miracle extérieur les miracles intérieurs se manifestent ; c’est alors que dans le temps et l’espace, dans un fait spécial, se dévoile devant les sens de tout le monde ce qui est la base de la conscience religieuse : on y voit que Dieu est la cause générale, immédiate, surnaturelle de toutes choses. Jamais un miracle ne se fait s’il n’y a pas de l’enthousiasme, de l’amour, de la colère, bref, une exaltation quelconque de l’âme affective. Et c’est précisément dans cette affection que l’intérieur de l’homme se révèle ; uniquement dans le plus fort de l’af-

  1. Prière et Miracle sont identiques, et comme la prière se laisse abréger et concentrer dans un mot magique, on peut faire des miracles par un mot, une syllabe : le grand nom Schem hamphorasch (du talmud) est si puissant que, d’après le pamphlet Toledoth Jeschu, Jésus-Christ s’en sert pour ensorceler, vivifier un squelette, guérir un lépreux : tout cela en prononçant le grand nom qu’il avait copié d’une pierre au temple sur un parchemin, etc.  (Le traducteur)