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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

On se demande souvent, pourquoi l’esprit de la philosophie est-il si opposé à celui de la théologie ? Parce que, disons-nous, la théologie est opposée à la science, comme le miracle l’est à la nature des choses, à l’objet ; comme la volonté arbitraire et capricieuse (sic volo, sic jubeo, stat pro ratione voluntas, dit la théologie, en frappant du pied, avec les dames romaines de Juvénal), le vrai asile de l’ignorance est opposé à la raison et à la science. La philosophie regarde les lois morales comme des rapports, des catégories de l’esprit, des lois basées sur elles-mêmes ; la théologie n’y voit que des ordonnances, des commandements, des décrets de son Dieu. Elle s’abrite derrière la confusion qu’elle a répandue entre le bien et la bonté personnelle de son Dieu, elle dit : « Ce que mon Seigneur veut, est bon, et si je veux comme lui, je ne suis pas pour cela aveuglément obéissant, » mais ce n’est qu’un sophisme avec lequel on espère donner le change à l’adversaire. Le motif du bien dans cette supposition, en effet, n’est plus la volonté comme volonté, mais la qualité de cette volonté, qui est censée être divine et partant identique avec le bien ; en d’autres termes, telle chose est bonne, non parce que Dieu la veut, mais parce qu’il est bon en la voulant. Bref, la volonté est ici censée être dépendante de l’idée du bien ; un cas spécial, un commandement de Dieu, est ici dérivé de l’idée du bien absolu. Mais la théologie est loin d’entendre la chose de cette manière ; elle croit que la volonté comme volonté, la volonté formelle, la volonté tout court, abstraction faite de l’objet voulu, est réellement la source du bien : c’est la volonté capricieuse et despotique, sans loi ni raison. Je veux, voilà la cause suffisante, le motif décisif ; je suis le Seigneur de l’univers, et rien ne m’arrête. Delà une autre différence entre la philosophie et la théologie pour celle-ci un objet n’est sacré que comme institué par Dieu, pour celle-là parce qu’il est sacré par et en lui-même. C’est cette catégorie intérieure ou objective, la bonté d’un objet en et par lui-même, qui prévaut à la fin : car si vous la niez, vous avouez par cela même et malgré vous que Dieu n’est pas nécessaire par sa nature, mais qu’il l’est devenu seulement par un simple acte arbitraire, en s’instituant Dieu par un car tel est mon plaisir. Une fois l’arbitraire élevé à la hauteur d’un principe métaphysique, vous n’y pouvez plus tirer une limite nécessaire, mais vous pouvez y établir des limites, des variations arbitraires tant qu’il vous plaira, et la seule