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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

diaires de l’univers (intermundia), dans le vide qui se rencontre entre la réalité et l’idée, entre la loi et son application, entre l’action et son résultat, entre le présent et l’avenir. Très bien ; ils sont donc des êtres imaginaires, qui doivent leur existence non au présent, mais au passé et à l’avenir. Ceux du passé sont les morts, leur culte remplit quelquefois la religion toute et entière, comme en Chine. Ceux de l’avenir avec le paradis et l’enfer, sont plus puissants que ceux du passé avec ses doux et mélancoliques souvenirs.

Les dieux qui surgissent de la tombe, ne sont que des ombres divines, mais les dieux vivants et réels, qui gouvernent les éclairs et le tonnerre, la vie et la mort, le paradis et l’enfer, sont ceux de l’espoir et de la crainte, ils ne nous viennent que des profondeurs de l’avenir.

Le visible présent est de la prose, l’invisible futur est de la possibilité et du hasard. A moi le présent, qui ne me peut pas être ravi par les dieux ; ils sont eux-mêmes incapables, disait l’antiquité classique, de rendre non-fait ce qui a été fait ; leur domaine, c’est l’avenir inconnu. Le terrible abîme entre le moment actuel et le moment qui immédiatement va suivre, nous ne saurions le traverser qu’avec le secours des dieux qui nous servent de pont et de bouclier contre les innombrables causes de notre mort ; ce secours divin qu’ils nous prêtent avec leurs corps éthérés et invulnérables, est une manifestation de leur éternelle bonté.

La bonté, voilà donc une qualité essentielle des dieux. Mais pour cela ils ont besoin de pouvoir tout ; voilà la toute-puissance, et avec elle les miracles qui en sont les preuves les plus décisives. Et comment la toute-puissance se manifesterait-elle sans une durée sans fin ? Dieu est donc éternel, c’est-à-dire l’être humain sans interruption continué à l’infini, et en ce sens il fait perpétuellement des miracles, car il efface les bornes, les qualités ordinaires des choses naturelles, il renverse, pour le salut de l’homme, toute différence entre la règle et l’exception. Ainsi, quand les théistes disent : « Dieu ne fait pas des miracles parce qu’il a arrangé les choses une fois pour toutes dans l’ordre le plus parfait, » ils sacrifient l’homme à la nature et la religion à la raison, ils prêchent l’athéisme au nom de Dieu. Certes, un Dieu qui ne remplit pas les prières humaines quand leurs objets sont au-delà des conditions ordinaires, n’est rien autre chose qu’une personnification de la nécessité naturelle.