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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

d’intelligence mais il serait aussi inexact de l’appeler aveugle ou morte ; elle ne voit ni ne vit comme un organisme subjectif, sensitif, personnel, comme l’animal et l’homme ; elle ne produit pas d’après la nécessité de la logique, des mathématiques, de la métaphysique, elle ne fait pas des abstractions. La nature produit matériellement et partant irrégulièrement, elle ne doit pas être jugée comme si elle était humaine ; à chacun de ses produits on doit établir la différence entre ce qu’il est à notre intelligence et ce qu’il est en lui : nous parlons d’elle comme si elle était humaine, mais la cause en est dans notre langue, qui est basée sur les apparences subjectives.

Le Dieu créateur ou surnaturel est avec la nature autant en contradiction que l’eau naturelle avec l’eau surnaturelle, dite baptismale, et on est très peu logique quand on nie, en bon naturaliste théiste, la force miraculeuse de l’eau du baptême en laissant subsister le miracle des miracles, le Dieu créateur ou la création du monde.

La religion parle de la Providence, mais d’une autre que celle du naturalisme théiste. La providence religieuse est illimitée et embrasse maternellement tous les êtres individuels sans aucune exception, tandis que l’autre ne s’occupe que des espèces et des genres. Un naturaliste théiste s’étonne quand on adore la providence religieuse, il se contente d’un Dieu qui a été réduit au minimum, comparable au simple point des mathématiciens, mais, il faut l’avouer, la sienne est bien mesquine. Du reste, on se trompe en disant que la nature s’occupe des espèces ; celles-ci se conservent parce qu’elles sont la totalité de tous les individus qui se propagent ; la multiplicité est quelquefois à l’abri de beaucoup de dangers auxquels est exposé l’individu isolé, mais elle ne l’est pas toujours ni partout.

Ainsi quelques oiseaux australiens, le dronte et l’autruche géant, le cerf géant d’Irlande, n’existent plus depuis quelques siècles, sans compter les espèces antédiluviennes. Le hasard, qui joue son rôle inquiétant précisément dans les circonstances les plus personnelles, a été de tout temps un motif de religiosité, et aucun théiste naturaliste ne la refutera ; qu’on lise ce que Socrate, dans Xénophon, dit à propos des oracles helléniques.

Les dieux existent, d’après Épicure, dans les espaces intermé-