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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

de la nationalité, et tant qu’il y aura des nationalités dans l’ancienne acception de ce mot, il y aura aussi du polythéisme.

On croit avancer quelque chose de très profond quand on dit qu’on ne peut rien préciser sur cette matière épineuse, puisque le ciel religieux est incompréhensible à notre intelligence, et que toute description qu’on en donne est purement une hypothèse ou une allégorie calquée d’après le monde terrestre ; on ne dit par là qu’une trivialité. C’est absolument comme si l’on ne veut pas se prononcer sur l’essence de Dieu, mais son existence, dit-on, est certaine. Ceux qui parlent de cette manière se sont déjà débarrassés de l’idée fixe de l’autre monde ; ils affirment dans leur cœur cet autre monde ; mais trop occupés des choses du monde actuel et réel, ils le font nier par leur tête, à moins que ce ne soient des hommes qui ne réfléchissent point du tout sur de pareilles choses. En d’autres termes, ces hommes nient l’autre monde en ce qu’ils lui ôtent toutes les qualités par lesquelles il devient objet réel pour l’homme. La qualité, on le sait, ne diffère jamais de l’existence, elle est l’existence réelle : exister sans avoir des qualités, c’est être un spectre, une chimère, une fantasmagorie. La qualité me donne de l’existence, la qualité est, sinon antérieure à l’existence, du moins le nerf principal sans lequel l’existence serait nulle, absolument zéro. Quand on dit, par conséquent, que Dieu ne peut pas être reconnu, décrit, compris, on ne dit par là rien qui soit vraiment religieux ; cette doctrine de l’incompréhensibilité de Dieu et de l’autre monde, est le produit d’un sentiment irréligieux, qui est encore trop craintif pour se montrer en plein jour, et qui se cache derrière la religion. Cela vient de ce que l’existence de Dieu n’est originairement donnée qu’avec une certaine idée de ce Dieu, l’existence de l’autre monde avec une certaine idée de cet autre monde ; ainsi, le chrétien n’est convaincu que de l’existence de son paradis à lui, paradis qui a la qualité chrétienne, et il ne croit point au paradis mahométan ou hellénique ; en d’autres termes, la qualité donne toujours la première la certitude de l’existence ; celle-ci s’entend d’elle-même, aussitôt que celle-là est assurée. Ainsi, dans le Nouveau Testament, on ne lit point des démonstrations et des thèses générales comme par exemple : il y a un Dieu, ou : il y a une vie après la mort ; mais on y lit des descriptions qualitatives, par exemple : Au ciel on ne se mariera pas. La qualité, en effet,