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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

sexe soit la seule forme absolue sous laquelle puisse se manifester la subjectivité. Cela veut dire : l’individu incomplet, sans sexe est le plus complet ou l’absolu. C’est peu logique. mais c’est théologique.

La différence sexuelle, au contraire, est comme le cordon ombilical qui rattache l’individu humain, l’enfant, à la généralité humaine, à la mère. Un homme qui n’a pas poussé le mépris hautain — ou ce qui revient au même, la contrition de l’humilité la plus subjective – jusqu’à se moquer de la mère universelle, un homme qui se sent et se sait né d’elle, dépendant d’elle, jouissant et travaillant dans elle, ne saurait jamais concevoir la vie céleste, où l’individu subsiste sans être en rapport avec l’espèce, uns existence sexuelle. Cet homme dira aux fidèles : Votre individu sans sexe, votre esprit céleste n’est qu’un produit de votre âme affective. La différence sexuelle est dans un rapport intime avec la sphère intellectuelle et morale de l’individu, et remarquez-le bien, cette sphère doit se réaliser dans ses occupations, dans ses études, dans son industrie, dans sa science. L’individu ne vaut rien, à moins qu’il ne s’adonne de cœur et d’âme à un travail, non-fantastique et hyperphysique, mais réel, naturel, humanitaire. On n’est homme qu’en agissant ainsi pour la totalité dont on fait partie ; l’individu doit vivre et mourir dans l’humanité et pour elle : Nec sibi, sed toti genitum se credere mundo, comme a dit un poète de Rome païenne.

Or, la vie céleste chrétienne est radicalement opposée à cela. Ne nous dites pas que les stoïciens eux-mêmes parlaient d’une immortalité individuelle après la mort ; ces philosophes n’étaient nullement d’accord sur cet objet. Et au milieu de leurs démonstrations d’une existence personnelle de l’âme trépassée, ils furent souvent arrêtes par l’intuition qu’ils avaient du monde, de la nature, de l’univers, du genre humain ; ils ne cessaient presque jamais de distinguer soigneusement entre le principe vital d’un côté et l’individu vivant de l’autre, entre l’âme, l’esprit en gêneral et l’âme, l’esprit de l’individu. Autrement les chrétiens : d’un seul coup ils effacent la différence entre âme et personnalité, entre genre et individualité, et mettent dans eux-mêmes, immédiatement dans leur individualité personnelle, ce qui appartient plutôt à la grande totalité de l’espèce humaine. Voilà donc cette unité du genre et de l’individu élevée à la hauteur d’un principe, et déifiée sous forme divine ; car le Dieu absolu, le Dieu un et triple des chrétiens est