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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

bien sans toi ; jamais je ne me trouverai mal avec toi. Plutôt être pauvre pour toi, que riche malgré toi. Plutôt un pèlerin sur terre avec toi, que propriétaire du ciel sans toi. Là où tu es, est le ciel ; là où tu n’es pas, il y a la mort et le démon. Je n’aspire que vers toi,  » — « Tu ne saurais servir Dieu en t’attachant aux joies passagères de la vie ; éloigne-toi donc de tout ami, de tout parent, de toute consolation temporelle. Les vrais fidèles du Christ se regardent, l’apôtre saint Pierre l’a dit, comme des pèlerins, des étrangers, des voyageurs dans ce monde » (Thomas à Kempis, de Imitat. Christ. II, 7, 8 ; III, 5. 34, 53, 59). « Felix illa conscientia et beata virginitas, in cujus corde praeter amore in Christi… nullus alius versatur amor, » écrit Jérôme a la chrétienne Démétriade (Virgini Deo consecrao). Certes, les anciens chrétiens avaient un amour pour Dieu qui différait singulièrement de celui dont nos modernes ne cessent de se vanter ; ceux ci, tout convaincus de la possibilité d’adorer fois le Christ et Bélial, sont très mécontents de la franchise que je me permets, de leur montrer la vérité de la question. Ces braves messieurs prouvent par leur honorable exemple, disent-ils, qu’un bon chrétien peut chérir à la fois sa bonne épouse et son bon Dieu. D’où je prends la liberté de conclure, qu’à leurs yeux Dieu est égal à une femme, ce qui est très flatteur pour la femme, mais très peu pour Dieu. Ils ne savent pas, les malheureux, que s’ils aiment une femme à côté de leur Dieu, ils commettent le plus affreux de tous les adultères ! Que saint Paul leur réponde : « Qui a pris femme, doit penser pour elle, et qui n’en a pas pris, ne pense qu’au Seigneur ; un homme marié pense comment il doit faire pour plaire à son épouse ; mais l’homme non marié ne veut plaire qu’à Dieu. » Eh bien ! sentez-vous maintenant un peu la différence entre vous et eux ?

Le vrai chrétien n’a pas le besoin de cultiver son intelligence et ses mœurs ; il ne veut pas non plus s’attacher à un être naturel. La civilisation sociale et l’amour naturel sont au fond de la même racine ; le chrétien remplace la civilisation par Dieu, il remplace de la même manière la femme et la famille, l’amour et la paternité. Dieu doit lui tenir place de tout cela, parce que le chrétien individuel s’identifie immédiatement avec le genre humain. En mauvais logicien il oublie la différence sexuelle qui lie l’individu à l’espèce, il s’ima-