Page:Feuerbach - Qu'est-ce que la religion ?,1850.pdf/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
19
QU’EST-CE QUE LA RELIGION

il s’aperçoit qu’avec cela il n’y aurait plus tels ou tels effets salutaires : la position de cet astre à donc été, dit-il, calculée d’avance par la Sagesse-Suprême ; il pense la série des effets salutaires comme motif de la position présente. Il oublie seulement que toutes les innombrables positions qu’un astre pourrait occuper, n’existent que dans l’imagination.

L’homme commence donc par prendre le principe de la pensée pour celui de la réalité, l’idée qu’il se fait d’un objet pour l’objet même, bref tout a posteriori pour un a priori. Il pense la nature autrement qu’elle n’est en réalité, il y fait valoir son imagination, sa tête humaine, il déteste l’objectif. Il pose la pyramide de l’univers sur son sommet, la base en haut…

La téléologie est une théorie fondée sur la contradiction entre la nécessité de la nature et la libre volonté, ou plutôt le caprice, l’arbitraire de l’homme, entre le monde tel qu’il est et le monde tel qu’il existe dans le cerveau humain. Ainsi, on vous dira : « Si la terre était à la place de la planète Mercure, le genre humain n’y subsisterait pas à cause de la chaleur qui fond dés métaux, la terre est donc placée à son endroit par une sagesse sans bornes. » Qu’on dise plutôt : Imaginer une autre place que celle qui correspond à sa qualité, est une folie sans bornes, une véritable dégradation de la pensée philosophique, que dis-je ? du simple bon sens. La téléologie continue : « Si la neige était de couleur noire, les régions polaires seraient un désert effrayant… tandis que dans notre monde actuel, la belle disposition des couleurs est une preuve des plus fortes en faveur de l’Intelligence divine… Qui est-ce qui a appris aux oiseaux les mouvements nécessaires pour traverser l’air ? Aveugle serait un homme qui n’y verrait le doigt et la pensée d’une puissance supérieure à ces animaux. » En raisonnant ainsi, on oublie entièrement la différence entre l’instinct et l’art. L’animal nage, vole, marche, rampe, saute parce qu’il est forcé à l’exécution de ces mouvements ; il a son mouvement caractéristique qui lui réussit toujours, tandis que l’homme est combiné d’organes qui sont aussi variés que flexibles, et qu’il doit discipliner pour telle ou telle chose : il apprend tout, mais à la sueur de son front ; il parvient ainsi à imiter, même à surpasser les mouvemens des animaux, mais il ne le peut que par l’art et l’industrie. L’animal a de l’instinct, précisément parce qu’il n’a pas de l’art,