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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

thropolâtrie, etc., qu’ils font à la théologie dogmatique peut aisément être retourné contre eux. Voulez-vous, théistes, un être suprême sans aucun anthropomorphisme, sans aucun mélange humain, soit intellectuel, soit moral, alors allez vite effacer aussi votre Dieu de l’intelligence, et contentez-vous de la nature pure et simple, dépourvue de tout Dieu, une vraie nature antithéiste ou athée, comme seule base de votre existence ; car, remarquez-le bien, tant que vous laissez debout la différence de Dieu et de la nature, vous anthropomorphisez.

Notre être se distingue de celui de la nature, il n’y que ces deux-là de même vous imaginez là-haut un être se distinguant de celui de la nature, vous transférez dans votre monde idéal et illusoire une différence réelle et rationnelle. J’insiste sur cette combinaison forcée de nature et homme, d’où naît le dieu du rationalisme et plus tard celui du mysticisme spéculatif : c’est un amphibie qui n’est ni homme ni nature, un véritable sphinx, mais qui s’efface quand on lui a dit le mot de son énigme. 

Volonté et intelligence paraissent à l’homme être les forces fondamentales, les causes motrices de la nature, parce qu’il considère constamment les effets et les phénomènes naturels comme les produits d’une intention. Et cela doit être : les phénomènes se reflétant dans l’intelligence humaine, y gagnent l’apparence d’être réfléchis, actes divins, manifestations de l’âme du monde, du Noüs, de la Providence, etc. La religion païenne dit que le dieu Hélios voit tout et entend tout cela signifie que dans les rayons solaires rien ne peut se cacher à l’homme ; le même syllogisme secret se trouve dans la phrase suivante : « Toute chose dans la nature a été pensée et méditée d’avance par son dieu. » Ce qui se traduit en celle-ci : « Toute chose peut devenir un objet pour l’intelligence de l’homme, » et c’est précisément parce qu’elle est objet qu’il la croit aussi produit de cette intelligence. Il mesure les astres et leurs distances, il en conclut qu’ils ont été mesurés d’avance ; il étudie les mathématiques et la chimie pour connaître la nature, il en conclut que ces sciences ont déjà préexisté dans le Créateur de la nature ; il prévoit ce qui va provenir d’un fait ou d’un mouvement donné, il en infère qu’il a été prévu et prémédité par la Providence. Enfin, il peut imaginer non-seulement le contraire de la situation d’un astre donné, mais encore mille autres variations, et