Page:Feuerbach - Qu'est-ce que la religion ?,1850.pdf/284

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
272
QU’EST-CE QUE LA RELIGION

dividus et isolés et restreints chacun dans sa mesquine individualité.Les expressions humanité, espèce humaine, genre humain, etc. sont encore aujourd'hui, je le sais, inséparables de quelques idées inconvenantes ou impropres, mais cela ne fait rien, cela vient de notre ignorance actuelle sur ce qui constitue la nature essentielle et mystérieuse du genre. Ainsi, l’âme affective se trouve entièrement satisfaite en Dieu, puisque dans lui tout ne fait qu’un à la fois ; le genre y est immédiatement individu isolé, Dieu est l’amour, la justice, veut dire que l’être général et complet est pensé sous la forme d’un seul être, l’extension indéfinie du genre y est devenue un compendium, un sommaire, un abrégé. Or, Dieu n’est que l’intuition que l’homme a de son propre être, Dieu est donc son vrai être ; l’individu appelé le Dieu chrétien s’identifie donc immédiatement avec le genre, ce Dieu est individu-genre à la fois. le genre individualisé et l’individu généralisé. En d’autres termes, le christianisme divinise l’individu humain, il l’éléve à l’être absolu.

Le christianisme individualise l’intelligence, le Noüs des païens, le paganisme l’universalise. Les chrétiens ne voient dans l’intelligence qu’une partie d’eux-mêmes, les païens y voient quelque chose de plus grand, la véritable essence de l’homme. Aux chrétiens l’immortalité, c’est-à-dire la divinité de l’individu est assurée. aux païens celle de l’intelligence, du genre. De là découlent toutes les autres différences des philosophies chrétienne et païenne.

Le symbole caractéristique de cette identité directe et immédiate du genre avec l’individu est le Christ, ce Dieu réel des chrétiens. Le Christ est le modèle, le prototype, l’original, la notion préexistante et existante de l’humanité, l’ensemble de toutes sortes de perfections morales et divines, abstraction faite de tout ce qui est hostile et négatif. Le Christ, c’est l’homme par excellence, l’homme pur, céleste, impeccable, l’homme-genre, ou l’Adam-Kadmon. Or, remarquez-le bien, cet Adam-Kadmon-Christ n’est guère une idéalisation du genre humain dans le sens que notre langue donne ordinairement au mot idéaliser ; il présente le genre immédiatement sous forme individuelle, abrégé en une seule personne ; ne croyez pas qu’il soit regardé comme la totalité de l’humanité. Ce Christ chrétien ou religieux est la fin de l’histoire du monde, et non son centre. Les chrétiens, depuis les premiers temps jusqu’en