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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

ville. Anaxandride, poète comique en Grèce, dit dans Athénée aux Égyptiens : « Je n’aime pas votre compagnie, braves gens : vous adorez le bœuf que j’immole aux dieux, l’anguille est pour vous une grande divinité et pour moi un bon repas, vous détestez le porc que je mange avec plaisir, vous vénérez le chien, moi je lui donne des coups quand il m’a volé un beau morceau, vous pleurez quand un chat se trouve mal, moi j’en suis content et je l’écorche quand il est mort, vous tenez beaucoup à la musaraigne, moi je n’en fais aucun cas. » Ces mots expriment à merveille la différence entre la manière de voir d’un homme religieux ou lié (re-ligare) et celle d’un homme irréligieux ou libre. Là la nature est un objet pour le culte, ici pour la jouissance, soit matérielle, soit esthétique, là elle existe pour l’homme, ici l’homme pour elle, là elle est but, ici moyen, là elle est au-dessus de l’homme, ici au-dessous. L’un est dans les transports de l’enthousiasme, l’autre est prosaïque et réfléchi, même sarcastique. Selon Hérodote, le fanatisme égyptien était assez conséquent pour aller parfois jusqu’à la sodomie bestiale ; en Grèce il y avait des liaisons d’amour entre les mortels et leurs divinités.

Plus l’homme s’élève au-dessus du niveau de la nature, plus son Dieu devient supranaturaliste ; elle reflète toujours fidèlement l’image humaine idéalisée, et il adore cette image chérie. Il reste désormais convaincu que volonté et intelligence sont les deux puissances principales de son essence : son Dieu doit par conséquent les posséder au plus haut degré.

Il attaque la nature, il met le pied et la main sur elle : son Dieu devient donc non-seulement le souverain de la nature, mais aussi créateur ; les dieux païens n’avaient pas encore créé le monde, ils n’étaient que ses monarques constitutionnels, mais le Dieu chrétien en est le monarque unique et absolu. Et cela doit être : tout varié que soit l’univers, avec la terre et le ciel, avec le présent et l’absent, le cerveau humain l’embrasse dans l’unité ; de là le monothéisme, et les théistes n’ont pas besoin de donner leur système comme une révélation venue du dehors. Sa source est dans la tête de l’homme, et s’il transforme en êtres réels les êtres de l’imagination et de l’intelligence, ou plutôt en être absolu et suprême l’essence de sa force imaginative et intellectuelle, il faut dire que les polythéistes en font précisément le contraire, car ils changent en êtres imaginés ceux