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QU’EST-CE QUE LA RELIGION.

nous paraître absurde. Le sang est un liquide tout particulier, dit le démon Méphistophélès au docteur Faust, et le démon a raison cette fois. Un Dieu incarné qui est avec l’objet du besoin le plus pressant de l’âme, que dis-je ? qui est ce besoin même, la personnification de la souffrance, doit lui-même souffrir, et comme il est une chair vivante, il doit saigner[1]. Regarder Dieu ne suffit pas, l’âme affective n’a pas une entière confiance dans tes yeux, elle veut sentir, sentir par les nerfs de la peau ; il lui faut donc du sang rouge, bouillant, fumant. Voilà enfin, dit-elle, un Dieu personnel, qui sent comme un homme, et elle se déclare satisfaite.

Le Livre de la Concorde (art. VIII) contient le passage suivant : « Ainsi, nous rejetons comme une erreur dangereuse, la doctrine qui dérobe au Christ, en tant qu’homme, la majesté divine, et qui ôte par là même aux chrétiens leur suprême consolation ; selon sa promesse solennelle, ce n’est pas seulement sa divinité (qui on le sait, est en face de nous, pauvres pécheurs, comme la flamme dévorante dans la paille sèche), mais c’est aussi lui, lui-même en personne qui a parlé à eux… Il est notre frère charnel et nous sommes chair avec sa chair.

On a dit que le christianisme s’occupe de trois personnalités divines au lieu d’une ; c’est faux. Les trois hypostases existent dans la dogmatique, mais le Saint-Esprit est une personnalité arbitraire, illusoire et sans consistance, et plusieurs notions impersonnelles, comme par exemple quand on l’appelle le don (donum) du Père et du Fils, dont on l’entoure, l’ont radicalement affaiblie au lieu de l’étayer, ce qui déjà a été très bien développé par Fauste Socin Defens, animadv. in assert. theol. coll. Posnan. de Trino et Uno Deo, Irenopoli, 1656. C. XI). Le Saint-Esprit procède d’une manière qui est d’une mauvaise pronostic pour la force de sa personnalité, car, enfin, elle n’est pas un produit de son aller et venir, de la spiratio qui est tout à fait indéterminée, mais bien un produit de la génération. Le Père lui-même, qui représente la notion de Dieu

  1. Ce même procédé psychologique est probablement le motif de l’adoration idolâtre que les jésuites au XVIIe siècle prêchaient pour le cœur sanglant de la Sainte-Vierge, et les piétistes allemands d’aujourd’hui pour les cinq blessures du Christ ; mais comme elle est dépourvue de la naïveté de l’antiquité, elle est nécessairement rebutante.  (Le traducteur)