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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

c’est le cœur qui se prononce sans arrière-pensée. Le soupir devant la première Personne de Dieu, se transforme en chant triomphal devant la deuxième ; en face de la première, on ne fait qu’espérer, on y est même exposé au doute ; mais en face du Christ, on est rempli de la conviction la plus forte d’avoir une résurrection, la rémission du pèche, la victoire sur la mort, le bonheur éternel. Dieu le Christ est un composé de tous les désirs transcendants déjà réalisés : « Dieu nous a donné son Fils, cela suffit il nous a donné avec lui tout le reste, existence, justice, ciel, enfer, mort, démon, bref, tout, n’importe le nom : tout cela doit être à nous, parce que le Fils de Dieu. comme un cadeau qu’on a fait, nous appartient, et dans ce Fils il y a tout ensemble (XV, 311). » « Ce qu’il y a de meilleur dans la résurrection s’est déjà fait il y a longtemps, car le Christ est ressuscité, il a traversé la mort et l’enfer, il est revenu des morts et monté au ciel. Le Christ est le chef de la chrétienté. Ainsi, mon âme. qui est ce qu’il y a de meilleur en moi a traversé déjà, elle aussi, la mort, et est entrée avec le Christ dans l’essence céleste. Que me ferait donc la mort ? (XVI, 235). » « Un chrétien possède une force égale à celle du Christ. (XIII, 648) » « Et celui qui s’attache au Christ possède autant que lui » (XVI, 574). »

Le plus grand désir du cœur[1] est de voir Dieu ; ce désir s’est réalisé dans le Christ. Dieu. comme être de la pensée, reste éloigné ; le rapport entre lui et te penseur est abstrait, bien que semblable aux relations amicales qui existent entre nous et les hommes chers à notre cœur, mais personnellement inconnus et vivant dans une contrée lointaine ; tes œuvres de ce Dieu sont des épreuves de son amour, elles nous présentent son essence, mais notre âme affective languit encore, elle veut absolument le regarder de face en face et non comme dans un miroir (hôs en catoptro), parce que l’aspect physique seul détruit toute espèce de doute. Le Christ, c’est le Dieu personnellement connu, la conviction bienheureuse de notre âme affective, que Dieu soit précisément tel qu’il lui convient. Dieu, comme objet de la prière, c’est-à-dire,

  1. Le talmud avec son profond tact religieux, dit : « L’homme corporel ne voit Jehova qu’à l’instant de sa mort, et dans le moment même où son regard mourant est frappé de l’aspect de la terrible majesté de Dieu, l’âme doit quitter les membres. »  (Le traducteur)