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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

y manquaient d’abord de force. La loi parle durement à l’intelligence, elle s’oppose aux besoins de la chair : l’exemple en appelle à une faculté humaine qui est des plus puissantes, à l’imitation involontaire, il saisit irrésistiblement l’âme affective et l’imagination. Et un mot, l’exemple possède des forces magiques, et appartient par là à la matière ; la force magique n’est rien autre chose que la force d’attraction, qui est une qualité essentielle de la matière.

Les anciens avaient dit que la vertu, si elle pouvait se montrer aux yeux des mortels, les charmerait tous par sa beauté et les enthousiasmerait : les chrétiens étaient si heureux d’en voir la réalisation dans la personne du Dieu médiateur ! Les israélites avaient une loi divine écrite, les païens une loi traditionnelle, non écrite ; mais les chrétiens avaient mieux que tout cela, une loi devenue chair, une loi incarnée, vivante, humanisée. Delà l’immense joie des premiers christicoles, de là aussi la réputation du christianisme de pouvoir résister tout seul au péché et à l’enfer. Cette gloire, personne ne la niera ; seulement veuillez remarquer que la force de l’exemple de la vertu n’est pas tant la force de la vertu que plutôt celle de l’exemple en général : la puissance de la musique religieuse de même n’est pas celle de la religion, mais la puissance de la musique en général. Augustin en fait un aveu intéressant : « Ita fluctuo inter periculum voluptatis et experimentum salubratis : magisque adducor… cantandi consuetudinem approbare in ecclesia, ut per oblectamenta aurium infirmior animus in affectum pietatis adsurgat ; tamen cum mihi accidit, ut nos amplius cantus, quam res quæ canitur moveat, pœnaliter me peccare confiteor (Confess. X, 33) ; » le chant dans l'église lui plaît davantage que l’objet mis en musique il en est désolé comme d’un péché affreux ; mais cela ne nous regarde pas, prenons seulement acte de son observation. L’exemple de la vertu fait naître des actes vertueux, le sentiment de la vertu peut toutefois y faire défaut.

Il y a cependant encore un autre sens religieux dans la conciliation chrétienne opérée par le médiateur, ce sens doit être cherché dans la composition extraordinaire de la personne médiatrice, qui est à la fois Dieu et Homme. Nous sommes donc encore arrivés au miracle comme centre de la médiation, et elle se présentera à nous désormais comme ce désir accompli de notre âme affective, d’être affranchie de toutes les règles montes, qui sont autant de conditions