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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

turelle, si riche en illusions, est exposée aux plus désagréables désillusions on n’a qu’à couper un de ses arbres vénérés, pour lui démontrer matériellement qu’il n’y a pas là une goutte de sang : elle s’élèvera donc dans une région plus imaginative encore, elle proclamera son Être-Suprême sous la notion d’un être spirituel en lui-même, au-dessus de tout contrôle des sens. Cette transformation coïncide avec un changement que l’homme éprouve, quand il devient un être politique après n’avoir été qu’un être assujetti aux impressions immédiates de la nature. Alors on commence à subordonner l’existence physique à l’existence morale, intellectuelle et sociale, on prend la puissance de la nature sur la vie et la mort pour symbole et on en fait un attribut, un instrument du pouvoir politique. Ainsi, Zeus ne tiendra désormais l’arme foudroyante de l’éclair, que pour punir les injustes. Hésiode et Homère l’appellent le père des rois. Le code de Menou dit : « Le roi sait brûler comme le soleil les yeux et les cœurs ; aucune créature humaine ne peut le regarder. Le roi est à la fois lune et soleil, air et feu, il est le dieu des lois pénales. Et la flamme terrestre ne dévore qu’un individu qui s’est trop rapproché par mégarde : mais la flamme royale, quand il est en colère, brûle toute une famille avec la maison et le bétail… dans le courage du roi demeure la conquête, dans sa colère il y a la mort. » Ceci est bien différent de la prière que les Tartares de Catchine, pauvres esclaves de la nature, adressent au soleil naturel : « Veuille ne pas me tuer. » L’esclave politique s’agenouille devant le soleil hyperbolique de la Majesté royale : les premiers chrétiens appelaient l’empereur romain comme les païens : « Votre Divinité, votre Éternité, » et cette idolâtrie dure encore aujourd’hui. L’homme voit dans son essence celle de l’univers, l’homme s’adore lui-même.

Pourquoi l’Orient n’a-t-il pas une histoire aussi progressive que l’Occident ? évidemment parce que les Orientaux admirent plus la nature que l’homme ils sont plus touchés par les rayons des globes célestes et des pierres précieuses que par ceux de l’œil humain, plus impressionnés par l’éclair et le tonnerre de l’atmosphère que par l’orage de l’éloquence, plus absorbés dans la contemplation du cours des astres que de la vie ordinaire, plus frappés par les changements des saisons que des habitudes de l’homme. Les Orientaux sont aux Occidentaux comme des campagnards aux habitants de la