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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

l’âme humaine. dans ses émotions si profondes, si chaleureuses, si enthousiastes, mais passives : bref, dans ce qu’on désigne en allemand par le mot collectif de Gemuth. Ainsi, il est plus doux et plus saisissant de souffrir que d’agir, de se laisser affranchir que de s’affranchir soi-même, de faire dépendre son salut spirituel d’une personne étrangère que de sa propre activité individuelle. Il est plus doux à ce Gemuth, à cette passivité affective de se savoir aimé de Dieu, que de s’aimer soi-même par l’amour égoïste, mais naturel de tous les êtres organiques ; il est plus attendrissant de mettre un objet d’amour à la place de l’objet de tendance ; l’âme affective et passive préfère de se mirer dans les yeux resplendissants d’amour d’un autre être, que de regarder dans le miroir concave du propre moi, ou dans tes profondeurs tranquilles et cristallines, mais glaciales. de la grande nature universelle, dont l’océan pacifique ne parle guère à l’âme passive. Il est plus doux de se laisser affecter de sa propre âme âme comme si elle était un autre être, que de se déterminer soi-même selon les règles immuables de la raison. Cette passivité est, pour ainsi dire, le cas oblique du moi, c’est le moi comme accusatif, comme quatrième cas de la déclinaison tandis que le moi de Fichte est éminemment antipathique à cette passivité, parce qu’il est accusatif et nominatif à la fois, un vrai indéclinable. La passivité de l’âme, c’est précisément le moi qui se laisse affecter par soi-même, comme si l’affectant était ici différent de l’affecté. Le moi passif, c’est cette passivité (Gemuth) qui change le modus passif en modus actif, et vice versa. Cette phase du moi a cela de particulier, qu’elle prend le pensant pour le pensé, et le pensé pour le pensant : elle ne fait que rêver, elle ne saurait agir qu’en rêvant, et rêver lui est la plus sublime manifestation possible. Or. qu’est-ce que le rêve ? C’est le revers de la conscience du moi : dans le rêve l’actif est le passif, et vice versa ; dans le rêve, je prends les émotions que mon âme se fait à elle-même pour des émotions venues du dehors ; mes sensations affectives me paraissent des événements, mes représentations me paraissent des êtres extérieurs : le rêve a la faculté de la double réfraction des rayons, et c’est là la véritable cause pourquoi il nous plaît tant. En rêvant, le même moi existe comme en veillant ; l’unique différence est que, pendant le jour, le moi s’agite en lui-même, et, pendant le sommeil, est agité, —  par qui ? Par lui-même, comme si cela était un autre être. Le rationa-