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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

de l’acte naturel de la génération, et, pour l’écarter ils s’adressent à la force du miracle. La conception de la Sainte-Vierge, qui n’a pas été tachée par le contagium du pèche originel, était le premier acte de purification de l’humanité souillée par le péché, c’est-à-dire par la nature ; il en est de même de la naissance hyperphysique du Christ, de même de sa résurrection : le théanthropos, pur de tout contact avec la maudite nature, est donc le vrai prototype du genre humain, le vrai sauveur, le vrai libérateur pour tous ses adorateurs.

Les orthodoxes protestants, eux aussi, ces pédants si arbitrairement critiques, admirent la conception immaculée de Marie comme un mystère de la foi, comme un mystère ineffable (Winckler, philol. Lactant., s. Brunsvigæ, p. 247) ; tandis que chez des protestants qui réduisaient le chrétien à la foi seule, en lui permettant de rester homme dans la vie ordinaire, ce mystère perdait insensiblement toute signification pratique et n’en conservait qu’un sens simplement dogmatique. Ils se mariaient comme si ce mystère n’existait pas. Aux yeux du vrai chrétien des anciens temps, du chrétien qui abhorre la critique et qui veut la foi sans phrase, pour ainsi dire, un mystère dogmatique était toujours aussi un mystère moral. La morale catholique est donc chrétienne et mystique ; la morale protestante était déjà, à son origine, un peu rationaliste. Dans celle des protestants, deux êtres faisaient une alliance charnelle : le chrétien d’un coté et l’homme social, politique, naturel de l’autre. La morale catholique restait la Mater dolorosa, la morale protestante devenait une bonne mère de famille entourée d’enfants. Le protestantisme est déjà, dans sa racine, la contradiction de la foi et de la vie ; c’est pour cela même qu’il est devenu la condition de la liberté. Les protestants, ne voyant dans le mystère de la Virgo deipara qu’un article théorique ou plutôt dogmatique, n’ont jamais voulu l’aborder par la théologie spéculative ; selon eux, on ne saurait jamais en parler avec trop de précaution et de réserve. Et cela devait être : ce qu’on nie pratiquement n’a plus une signification réelle pour celui qui nie ; ce n’est plus qu’un spectre idéaliste, qui, comme tout autre spectre, se retire devant la lumière du soleil et de la raison.

Saint Bernard dit, dans une lettre, que, aux yeux de quelques-uns, la Sainte-Vierge, elle aussi, a été conçue sans péché. Saint Bernard ne veut pas de cette thèse, mais il a tort, et elle ne mérite