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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

une garantie de toutes tes autres résurrections humaines. Voilà pourquoi la résurrection du Christ est le désir satisfait que l’homme éprouve d’être sûr de son existence éternelle après la mort : le Christ est ici devenu l’immortalité personnelle comme fait. Rien de plus frappant, de plus immuable qu’un fait accompli.

Les philosophes païens s’occupaient de la question de l’immortalité, mais sans y appuyer fortement sur la personnalité. Chez eux il s’agirait surtout de la nature de notre âme, de l’esprit, du principe vital. La pensée de l’immortalité du principe vital ne renferme point immédiatement celle de l’immortalité personnelle, et encore moins la certitude absolue de cette dernière ; ils s’expriment par conséquent d’une façon assez douteuse et contradictoire sur cet objet. Les chrétiens au contraire, profondément persuadés de la réalisation de tous leurs désirs personnels (car ils adorent, sans le savoir, leur âme individuelle comme être suprême), changent le problème théorique des païens en un fait immédiat, en une affaire de conscience ce qui n’avait été chez les anciens qu’une simple question théorique. Nier par conséquent, l’immortalité subjective est aux yeux du chrétien le crime lèse-Dieu, c’est de l’athéisme. Niez la résurrection des corps, et vous niez celle du Christ, vous niez en même temps le Christ, vous niez donc Dieu. C’est ainsi que le christianisme, si spiritualiste, changea un objet spirituel en un objet dépourvu d’esprit. A ses yeux l’immortalité païenne de la raison, de l’esprit, de l’intelligence était beaucoup trop abstraite et trop négative ils exigeaient quelque chose de plus solide, de plus palpable. L’immortalité de la personne individuelle. La seule garantie suffisante de celle-ci est dans la résurrection de la chair, et en effet, c’est cette dernière qui exprime le triomphe du christianisme sur la spiritualité objective et abstraite, mais sublime, des anciens philosophes du paganisme. On comprend que les païens avaient besoin de bien des efforts pour adopter enfin la croyance chrétienne à la résurrection charnelle.

La résurrection miraculeuse est la fin du drame chrétien, elle est, je le répète, un désir métaphysiquement réalisé : il en doit être de même du commencement, qui s’exprime par la naissance surnaturelle.

Plus l’homme s’éloigne de la nature, ce qu’il ne peut sans donner dans une manière de voir surnaturelle ou contre nature, et plus il