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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

s’exprime dans les légendes de Josua qui arrête le soleil, d’Élie qui fait la pluie, du Christ qui par un mot apaise un lac, guérit des malades et ressuscite des cadavres ; c’est absolument comme dans la sorcellerie, et la seule différence est que dans les légendes religieuses le thaumaturge s’adresse à Dieu, tandis que les magiciens puisent dans eux-mêmes la force miraculeuse.

Mais il ne faut pas oublier l’ancienne vérité : Quod quis per alium fecit, ipse fecisse putatur, tout ce que tu fais par un autre, on l’imputera à toi ; ainsi, les miracles d’un prophète religieux, bien qu’ils paraissent avoir infiniment plus de valeur intérieure que ceux d’un magicien, doivent être imputés à ce prophète ; son Dieu n’est ici qu’un tour rhétorique et poétique.

Dans le grandiose développement physiologique et pathologique du genre humain qu’on appelle l’histoire, nous voyons l’anthropologie toujours et partout précédée de la théologie : dans la jurisprudence (ordalies, oracles juridiques des Germains), dans la politique (oracles des Grecs), dans la médecine (cliniques des temples, magie hygiénique), dans les beaux-arts (théâtres et jeux romains et helléniques). Partout le désir de changer la nature, cet être mystérieux et non – humain, en un être humain et de la disposer en faveur de l’homme.

Certes, la civilisation n’a point d’autre but, mais celle-ci se sert de moyens pris dans la nature, et triomphe de la nature par la nature, tandis que la religion choisit des moyens surnaturels, la prière, la foi, les saints sacremens, la magie ; c’est-à-dire, elle veut obtenir ce but sans les moyens, car ce qui est surnaturel n’est pas du tout. Il s’ensuit que chez des nations arriérées, la religion est un grand instrument du progrès humanitaire, et qu’elle ne l’est plus dans une époque postérieure. La civilisation, comparée à la religion, est toujours et nécessairement en retard, parce qu’elle ne peut pas franchir les limites réelles de l’essence humaine ; ainsi elle inventera bien la macrobiotique, mais point l’immortalité, qui restera toujours en état de désir surnaturel et théologique.

Dans la religion dite naturelle les hommes s’adressent à un objet qui est en contradiction flagrante avec l’essence de la religion, ils sacrifient leurs sentimens à un être insensible, et leur intelligence à un être inintelligent ; ils placent au – dessus d’eux ce qu’ils désirent de gouverner, ils s’inclinent devant ce qu’ils détestent. Ainsi