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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

le centre duquel vous découvrirez l’harmonie de l’univers ; là vous pouvez sentir l’imagination matérielle comme votre unique activité subjective ; là, la nature universelle et le moi subjectif vivent en harmonie : il ne se construit ses beaux châteaux enchantés qu’avec des matériaux naturels, il appelle cela faire des cosmogonies.

Mais quand l’homme se place obstinément sur le point de vue pratique, pour contempler delà le monde en faisant un point de vue théorique de celui de la pratique, alors l’homme se sépare de la nature, il en fait l’humble servante de ses intérêts égoïstes. Il y a une formule suprême pour cette manière de voir et d’agir : Toute la nature est nulle. Dieu dit : Que le monde soit, et le monde fut ; cette obéissance illimitée signifie que le monde n’a pas la moindre valeur intérieure : « Hebræi numen verbo quidquid videtur efficiens describunt et quasi imperio omnia creata tradunt, ut facilitatem in eo quod vult efficiendo summamque ejus in omnia potestatem ostendant. (Psalm., 33, 6.) Verbo Jehovæ cœli facti sunt. (Psalm., 148, 5) Ille jussit eaque creata sunt, » dit fort bien déjà le vieux J. Cléricus (Commen. in mos. gen., I, 3). En effet, l’utilisme appartient spécialement au mosaïsme ; c’est là que nous pouvons étudier à notre aise la connexité entre la Providence et le miracle, qui à son tour a pour fondement l’égoïsme tout pur.

L’eau se sépare en deux ou se consolide, la poussière se métamorphose en vermine, un bâton devient un serpent, une rivière roule des flots de sang, le roc devient une fontaine, il y a jour et nuit à la fois, le soleil s’arrête, le soleil rebrousse chemin, une ânesse parle en langue humaine : tous ces miracles contre nature se font pour le salut d’Israël et sur le commandement de Jéhova, qui ne pense qu’à Israël. Jéhova, c’est l’intolérance absolue en personne, l’égoïsme national personnifié : c’est le monothéisme dans sa plus simple et dans sa plus forte expression. Les chrétiens reprochaient cet orgueil à la nation juive, mais ils avaient tout à fait les mêmes sentimens exclusifs : « Sache, dit Luther, que Dieu prend soin de toi, tes ennemis sont aussi les siens (VI, 99). » « C’est à cause des chrétiens que Dieu pardonne au monde entier. Le Père céleste laisse briller les astres et tomber la pluie sur les têtes des justes et des injustes, des bons et des méchants : mais il ne le fait qu’à cause des chrétiens peu reconnaissants (XVI, 506). « Qui dit du mal de moi, le dit de mon Dieu (XI, 538). » « C’est dans notre personne