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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

petit mot : général. Une providence générale est illusoire ; ce n’est qu’une providence spéciale qui mérite ce nom aux yeux de la théologie. La providence universelle qui ne distingue pas entre un homme et une fleur de lis, entre un homme et un moineau, ne serait point autre chose que la nature, et pour avoir cette idée on n’a pas besoin d’être religieux. La théologie le sait, elle dit qu’une providence qui se soucie des animaux comme de l’homme, mettrait celui-ci au même niveau avec ceux-là : elle trouve que c’est très irrévérencieux. En d’autres termes, la providence est la nature intérieure, l’essence intrinsèque d’un objet, son ange gardien, son génie, sa nécessité d’exister.

Plus un être a de la valeur, plus il a des motifs d’exister ; sa nécessité augmente, son hasard diminue. Or, un être n’est nécessaire qu’en tant qu’il diffère d’autres êtres ; la différence est donc la cause de son existence. L’homme n’est ainsi nécessaire que par le coté qui le distingue des bêtes ; la providence, par conséquent, est la conscience que l’homme a de la nécessité de son existence, de la différence qu’il y a entre lui et les autres êtres naturels. La providence ne mérite donc ce nom que là où elle présente à l’homme la différence qu’il y a entre lui et l’animal ; cette providence est toute spéciale, c’est l’amour divin. Providence sans amour ne signifie rien ; ce serait une idée sans réalité. Dieu aime donc les hommes, il n’aime point les animaux.

Il fait des miracles pour l’homme, des faits par lesquels il prouve son amour. Quel lien, en effet, y aurait-il entre Dieu et l’animal ? La religion voit dans les événements religieux, dans des miracles, la meilleure preuve de l’existence de son Dieu. « Quamquam autem hæc consideratio universæ naturæ nos admonet de Deo… tamen nos referamus initio mentem et oculos ad omnia testimonia, in quibus se Deus Ecclesiæ patefecit, ad eductionem ex Ægypto, ad vocem sonantem in Sinaï, ad Christum resuscitantem mortuos et resuscilatum, etc.… ideo semper defixæ sint mentes in horum testimoniorum cogitationem (ainsi les dogmes, les sacrremens sont des miracles par excellence) et his confirmatæ articulum de creatione meditentur, deinde considerent etiam vestigia Dei impressa naturæ (Melanchton, Locti de creat., p. 62). Mirentur alii creationem, mihi magis libet mirari redemptionem ; mirabile est quod caro nostra et ossa nostra a Dco nobis sunt formata, mirabilius adhuc est,