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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

fin de ce monde viendra plus vite que nous ne le pensons (XI, 536). »

C’est à l’aide de cette création, tirée du néant, que l’homme manifeste sa fierté : il dit par là que l’univers tout entier ne peut rien contre l’homme ; « Oui, nous avons un maître plus grand que l’univers, un Seigneur si puissant, qu’il n’a qu’a parler pour faire naître tout objet. et si ce Seigneur nous veut du bien, nous n’avons rien à craindre (VI, 293). » De là l’identité de la croyance à la création tirée du néant, avec celle à la vie éternelle, à la défaite de la mort corporelle, cette dernière entrave naturelle de l’homme, à la résurrection des morts. « L’univers, il y six mille ans, n’était rien : qui l’a fait ? Dieu. Eh bien, ce Dieu créateur peut te réveiller du sommeil des morts. Il le voudra, il le pourra (XI, 426, 421). » « Nous autres chrétiens sommes plus grands que toutes les créatures ; cela ne vient pas de nous, mais de Dieu le Christ, contre qui le monde ne peut rien (XI, 377). »

La providence est la conscience religieuse que l’homme a de la différence qui existe entre lui et les bêtes, ou la nature en général. Prenons le fameux mot de St. Paul (1. Corinth. 9. 9) « Dieu a-t-il aussi soin des bœufs ? Numquid curæ est Deo bobus ? inquit Paulus. Ad nos ea cura dirigitur, non ad boves equos, asinos, qui in usum nostrum sunt conditi. (J. L. Vivis Val. de veritate fid. 108). Providentia Dei in omnibus aliis creaturis respicit ad hominem tanquam ad metam suam. (Matth., 10. 31). Multis passeribus vos pluris estis {Rom. 8. 20). Propter peccatum hominis natura subjecta est vanitati (M. Chemnitzii Loci theol. 1, 312). Numquid enim cura est Deo de bobus, et sicut non est cura Deo de bobus, ita nec de aliis irrationalibus. Dicit tamen scriptura (Sapient. VI), quia ipsi cura est de omnibus. Providentiam ergo et curam universaliter de cunctis quæ condidit, habet… Sed specialem providentiam atque curam habit de rationalibus (Pierre Lombard. I. dist. 39, c. 3). Voilà un joli échantillon de la sophistique chrétienne, elle est évidemment un produit de la foi, surtout de la foi biblique ; Dieu ne se soucie pas des bœufs, or, Dieu se soucie de tout, donc aussi des bœufs. Ce sont là des contradictions, mais la parole divine n’en doit point avoir. Comment faire alors ? La foi va vous interposer entre la négation et la position du sujet un attribut, qui a l’avantage d’être à la fois une position et une négation, c’est-à-dire, d’être elle-même une contradiction, une illusion théologique, un sophisme, un mensonge. Ainsi elle intercalera ici le