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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

et le soleil, après avoir vécu en hommes sur notre terre, ont été élevés à la hauteur du ciel. » Le fétichiste n’adore les misérables objets de son culte que par ce qu’il découvre en eux un esprit, une affection, un désir, un instinct, un mouvement analogue avec l’être humain. L’homme n’adore un objet qu’après s’être transporté dans cet objet, c’est la formule définitive qui en résulte, et qui se concentre plus énergiquement en celle-ci : « L’homme s’adore lui-même, l’homme ne peut point ne pas s’adorer lui-même. Le développement des religions veut du reste, que dans leur naturalisme elles adorent l’être non-humain parce qu’il leur paraît humain, et que dans leur théisme ou anthropologisme elles adorent l’être humain parce qu’il leur paraît différent de l’homme, un être non-humain, une contradiction qui est nécessaire dans la vie de la religion.

La nature ressemble à un être personnel surtout parce qu’il y a en elle des changemens aussi brusques que dans l’humeur d’une personne humaine ; ce sont précisément les hasards, les caprices de la nature qui lui ont valu de tout temps la personnification religieuse et les sacrifices. Plus on se sent en dépendance d’elle, plus on veut la concilier par des offrandes, surtout quand le besoin se met à lutter contre la jouissance.

Dans le besoin nous nous apercevons de notre dépendance, et il est partant humble et pieux, tandis que dans la jouissance nous recouvrons le sentiment de notre égoité, nous nous sentons rétablis et même indépendans, enhardis vis-à-vis de la nature. Mais l’homme mourrait vite d’exanition s’il n’osait plus jouir, et c’est pour ne pas exaspérer la nature dont il se voit obligé de s’approprier les trésors, qu’il lui offre des dons. Il la croit jalouse et vindicative comme un homme. Delà tant de restrictions qu’il s’impose par religiosité : le Romain n’aurait jamais coupé les arbres de son lot de terre sans sacrifier un jeune cochon en l’honneur de ses divinités ; les Germains en coupant des aunes adressaient une prière à la déesse de cet arbre : « donne moi, ô reine de l’Aune, quelque peu de ton bois, plus tard je te donnerai du mien s’il en est dans cette forêt ; » les Ostiaques en Sibérie, après avoir chassé l’ours, attachent les peaux aux arbres, s’inclinent et demandent pardon à l’âme de l’animal tué ; beaucoup de tribus dans l’Amérique septentrionale en font autant ; les habitans des Philippines trem-